Dimanche 27 mars 2022
Nous connaissons bien l’importance de la sortie d’Égypte pour les israélites.
Ils savent d’expérience, comme tant d’autres peuples, la différence entre la servitude comme négation de l’être humain et le fait de mener une vie pleinement humaine avec autrui, surtout quand autrui ne fait pas partie des siens.
En fait, ce n’est pas tant la liberté, même si cet élément est un indice fort et mesurable ou évaluable.
Il y a bien des gens, pleinement libres, mais dont la dignité n’est pas reconnue aux yeux d’autrui. Or, la dignité humaine n’est pas négociable.
La dignité n’est pas une catégorie moderne.
Toujours est-il que les israélites, sous la houlette de Josué, célèbrent leur première Pâque en terre promise.
Il s’agit également d’une étape symboliquement importante puisqu’ils mangent désormais des produits de la terre et non plus la manne.
Alors, pourquoi ce récit est-il mis en rapport avec la parabole des deux fils ?
En première analyse, le départ du fils cadet pour un pays lointain, pour aller chercher la vie, s’émanciper du père, pourrait faire penser à un retour en l’Égypte d’antan.
À l’instar de ses ancêtres, il y connaît la même opportunité, puis la même désolation.
Néanmoins, il ne faut pas le blâmer trop vite.
Le père, Dieu, laisse tout l’espace à son fils, à chacun, pour qu’il explore, pour qu’il expérimente, qu’il fasse son périple et trouve la vérité, ou du moins, ce qui lui convient.
Dans son périple, il peut commettre des erreurs et apprendre de ses erreurs, s’il est bien intentionné. Il peut connaître la joie, connaître aussi des épreuves.
Le fils cadet est parti sans retour, d’après lui. C’est le sens de la part d’héritage et de ses biens personnels qu’il emporte.
L’expérience l’amène à prendre une décision, une décision forte qui va conditionner le reste de sa vie.
Tant que la décision n’est pas prise, l’expérience n’est pas encore concluante. L’expérience ne l’a pas encore menée à la maturation ou au point d’inflexion qui indique le basculement vers un passage.
La littérature est pleine de ces figures. Elles sont d’ailleurs écrites pour enseigner à la jeune génération. Mais parfois, l’expérience réelle va plus loin, ou est plus instructive que les mythes.
« Les voyages forment la jeunesse ». Voilà le sens profond de l’adage. Il s’agit bien de voyage, et non pas de tourisme. Il faut avoir l’occasion de voyager en soi-même pour que le déplacement porte du fruit, pour qu’il y ait passage.
Vous avez le périple de Gilgamesh, le périple d’Ulysse, c’est un peu la même chose. Je préfère encore le périple de Charles Darwin et ce que cela produit en lui, la décision qu’il prend pour lui-même, et la manière dont elle affecte la pensée occidentale.
Je dis qu’il ne faut pas blâmer trop vite le fils cadet, car celui qui est plus à plaindre est peut-être le fils aîné.
Le retour inattendu du cadet, inattendu pour l’aîné, est l’occasion pour lui d’exprimer ce qu’il a sur le cœur et depuis longtemps.
Il ne veut pas tant à son frère qu’à son père.
À ses yeux, son frère cadet est juste un dépravé, la chose ne demande pas beaucoup de littérature.
En revanche, il refuse d’entrer dans la joie de son père. C’est bien le père qui est visé ; le retour du cadet n’est que l’événement déclencheur.
La bonne nouvelle, c’est qu’il peut enfin exprimer ses sentiments et ressentiments. C’est aussi pour lui un chemin vers la vérité.
Les trajectoires des deux frères sont en fait couplées.
L’attitude de l’aîné n’est pas plus blâmable que le départ du cadet, car la vérité n’est pas blâmable.
La vie a besoin de la vérité pour se déployer pleinement.
Le père le dit : « mon fils qui était mort, il est maintenant vivant », car la vérité s’est déployée en lui.
La vie n’est bonne, pleine, débordante que si elle trouve un espace de vérité chez l’individu ; c’est son lieu propre, c’est son biotope.
Voilà pourquoi, le Père, Dieu, offre tout l’espace pour qu’advienne la relation de vérité avec lui et chez l’individu. Là aussi, il y a un couplage essentiel.
Ce n’est qu’à ce moment-là que tout commence vraiment, et cela fait une vraie différence !
Voilà un événement qui mérite d’être célébré, voilà un passage qui mérite d’être célébré. C’est d’ailleurs ce qu’ils font avec le veau gras.
Roland Cazalis, compagnon jésuite
Jos 5, 9a.10-12 ; Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7 ; 2 Co 5, 17-21 ; Lc 15, 1-3.11-32
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