Dimanche dernier, les textes nous faisaient revisiter l’être du prophète. Ce dimanche, nous poursuivons la relecture avec la figure d’Amos et la mutation de cette figure en la personne du Christ qui devient désormais le pivot de l’évolution de cette figure, figure qui ensuite va se déployer dans celle des apôtres. Marc nous les montre dans un épisode de leur période d’apprentissage. Cette figure va continuer à se déployer au cours de l’histoire en différentes personnes, des clercs, des consacrés par le baptême, par le mariage, y compris des institutions.
Tout d’abord, Amos est un prophète issu du royaume du Sud, Juda, et envoyé dans le royaume du Nord, Samarie, à Bethel, un sanctuaire qui symbolise à l’époque le paradoxe qui règne dans ce royaume.
Dans ce royaume du Nord, la classe aisée et dirigeante mène une vie confortable et le petit peuple est exploité sans vergogne par la classe dirigeante.
Cela ne l'en empêche pas de célébrer un culte au sanctuaire de Bethel. En fait, il s’agit d’une autocélébration avec la bénédiction de l’autorité politico-religieuse.
Dans les sociétés où la classe moyenne est absente, on assiste souvent à ce phénomène d’autocélébration de la classe aisée ; elle est d’autant plus indécente qu’est profond le gouffre social qui sépare les deux camps.
L’Alliance, dont le sanctuaire de Bethel est le rappel, repose sur une logique bien différente et promeut des relations sociales d’un autre ordre.
Amos est un prophète authentique, car il est appelé par Dieu. Il est venu rappeler la logique de l’Alliance et les conséquences de son dévoiement qu’il perçoit dans un ensemble de visions.
Amos n’a pas le même statut que les prophètes autoproclamés ou nommés par les autorités politico-religieuses. Ces professionnels du culte doivent rendre des comptes à leur autorité de tutelle.
Dès lors se pose la question : de qui sont-ils prophètes ?
Les autorités politico-religieuses veulent expulser Amos de Bethel. Ce faisant, elles vont se priver de la grâce qui visite la région.
Ce fait nous rappelle l’épisode où des gens de Génésareth demandent au Christ de quitter leur territoire. Il quitte leur territoire, mais leur laisse un témoignage en la personne de l’homme qu’il a délivré d’une légion d’esprits immondes.
Le Christ envoie des duos en mission. Ces apôtres poursuivent leur apprentissage. Ils reçoivent pour cela les grâces nécessaires (l’autorité, l’Esprit).
Le Christ leur dit que s’ils ne sont pas reçus, ils doivent quitter les lieux en laissant un témoignage aux gens, en secouant la poussière de leurs chaussures, un signe qui est un appel à la conversion. Il ne s’agit pas d’une condamnation.
En conséquence, la possibilité de l’échec est annoncée. Autrement dit, l’échec est une possibilité à intégrer, puisque l’action du prophète a toujours lieu dans un contexte d’adversité, sinon, l’envoi d’un prophète n’aurait pas été nécessaire. Il n’y a pas de prophètes de luxe en dehors des faux.
Le prophète a une parole libre, car c’est la parole de Dieu.
Il n’a pas besoin de négocier avec les autorités sur le mal. Quand on négocie sur le mal, quelqu’un doit payer, quelqu’un doit être sacrifié sur l’autel du mal.
En conséquence, les prophètes ont fréquemment payé leur liberté de parole de leur vie. J-B fut l’un des derniers exemples de la période messianique.
L’envoi des apôtres deux par deux n’est pas fortuit.
Le duo signifie l’unité du message et le soutien mutuel dans l’annonce du message et des guérisons effectuées.
Quand on est deux, on doit s’accorder sur la décision à prendre.
Aujourd’hui comme hier, en dehors de la grâce d’état, il est rare que deux personnes soient sur la même longueur d’onde sur le sens du message, car probablement, elles ne sont pas au même stade du processus de transformation qu’opère la présence de la parole de Dieu en elles.
Le prophète du NT, ou la figure qui en prend le relais, reste toujours un vase qui porte en lui un trésor d’un prix inestimable.
Ce trésor finit par s’immiscer dans la structure du vase et la fait évoluer.
S’agissant du prophète moderne, on voit que sa mission demande de la disponibilité non seulement mentale, mais surtout existentielle, une disponibilité fondamentale qui se décline en divers niveaux.
La disponibilité existentielle est la marque même de celui ou celle qui est sensible à la figure de Dieu ou à la parole de Dieu.
Dans la Bible la disponibilité existentielle est suggérée par les formules telles que « tu m’as appelé dès le sein de ma mère », « faire la volonté de mon Père », etc.
La disponibilité existentielle signifie qu’il n’y a pas projet qui précède celui qui naît de la sensibilité à la figure de Dieu. S’il en existait un, -la nature ayant horreur du vide-, avant la prise de conscience de l’attrait de la figure de Dieu, il ne tiendra pas devant la fulgurance de Dieu et disparaîtra par inadvertance.
Ainsi, peu importe l’état de vie que vous embrassez par la suite. La présence de Dieu vous amènera à témoigner d’une dimension de la vie, d’une profondeur de l’existence qui vous constitue et vous dépasse, d’une parole que vous portez et qui vous porte.
Le témoignage, c’est par exemple, un père aimant, non pas complaisant, car l’amour veut le bien d’autrui ; une mère aimante, un couple inspirant, une personne disponible, un homme de Dieu, une personne qui écoute, etc. Ces traits nous montrent des facettes de Dieu.
Le témoignage est salutaire, car c’est une nourriture de l’âme pour tous.
Roland Cazalis, compagnon jésuite