Dimanche 19 février 2023
Commençons par ce qu’il est convenu d’appeler la « loi de sainteté » dans Lévitique 17-26 qui se réfère à la sainteté de Dieu. Ces versets comprennent diverses prescriptions concernant tous les secteurs de la vie.
« Soyez saint parce que je suis saint ».
L’impératif « soyez » vient en réalité d’un présent.
Je trouve que le présent a plus de force et de sens que l’impératif.
Adonaï dit à Moïse de dire à l’assemblée des fils d’Israël « vous êtes saints parce que je suis saint ».
La sainteté de peuple vient de celle de Dieu. Le peuple est saint parce que Dieu l’a consacré, l’a mis à part pour lui.
Cette consécration a des implications dans la vie concrète par rapport aux peuples d’alentour en termes d’intégrité morale, de fidélité, de solidarité envers les autres membres du peuple. Chaque membre du peuple devient un égal, d’où l’amour du prochain. Le prochain ici est le compatriote.
Il faut commencer par vivre l’amour du prochain au sein de l’assemblée du peuple consacré, avant d’en venir à la même injonction faite par le Christ, car dans sa bouche, le prochain n’est plus seulement le compatriote. Le prochain devient celui vers qui l’on se tourne, celui sur qui l’on se penche, celui dont on devient un proche.
C’est à ce stade que l’on s’approche encore plus de la sainteté de Dieu, lui qui se penche, non seulement sur le peuple qui lui est consacré, mais sur toute personne, les justes comme les injustes.
Soulignons au passage que l’amour du prochain implique la correction fraternelle, la gestion des conflits pour que la fraternité soit vraie aux yeux du monde, afin que cette fraternité témoigne de la sainteté de Dieu.
La rancune est la mèche qui amène le feu à la poudre que sont la vengeance et la vendetta.
Parallèlement, les communautés chrétiennes ont exactement la même mission en tant que peuple consacré. Elles ont à vivre la fraternité vraie aux yeux du monde. C’est d’ailleurs ainsi que l’on reconnaissait ces communautés.
L’Église actuelle doit accepter de laisser tomber le réflexe capitaliste du nombre -nombre maintenu par coercition dans le passé- au profit de la fraternité.
La connexion avec l’évangile se fait naturellement. Nous poursuivons la lecture avec les antithèses et l’hyperbole de dimanche dernier.
Je peux souligner l’une ou l’autre expression.
On pratique la saisie judiciaire de vêtement dans l’Antiquité et celle du manteau qui indique, en suivant sa texture, la classe sociale. Cela nous rappelle le sort réservé au manteau du Christ lors de son procès.
Je crois que de nos jours l’on continue à saisir les biens en cas de dette.
Le Christ invite à faire ce plus qui montre un dépassement de la loi.
Il y a par exemple les réquisitions lors de la colonisation romaine et qui concernaient des corvées. La réquisition pour guider un détachement militaire cherchant sa route. Il fallait donc faire quelques km avec le détachement.
Toutes les armées d’occupation font la même chose et les détachements militaires ne sont jamais l’expression de la fine fleur de la courtoisie ou du savoir-être…
Il y a enfin l’antithèse concernant l’amour des ennemis.
Formellement, l’injonction de la haine de l’ennemi n’apparaît pas explicitement dans la Bible. Il y a des colères dans les psaumes, mais la haine de l’ennemi est une expression qui vient de la communauté de Qumran.
Il s'agit d'un règlement en vue de la guerre que les « fils de Lumière » c'est-à-dire les membres de la communauté de Qumran doivent mener à la fin des temps contre les « fils de Ténèbres », c'est-à-dire les païens et les mauvais juifs.
L’injonction correspond aux vues dualistes de cette communauté pour laquelle le monde est divisé en deux camps, celui du Bien ou de la Lumière, celui du Mal ou des Ténèbres. La communauté de Qumran est l'armée de Dieu destinée aux « combats de Dieu ».
Il y eut certainement des influences de la religion mazdéenne sur la communauté de Qumran qui aurait adapté la théologie mazdéenne sans l’adopter. En effet, il est important de noter que la communauté de Qumrân n'aurait pas adopté le dualisme perse, mais l'aurait plutôt adapté à leur tradition juive sans en changer les fondements. On remarque par exemple que les deux chefs angéliques (ou esprits) ne sont pas égaux, contrairement à Ahura-Mazdâ et Ahriman, et que l'Ange de Ténèbres n'est surtout pas opposé à Yahvé. Yahvé demeure le seul Dieu. Il créa les deux esprits dans le mystère de sa sagesse. Il aime l'esprit bon et déteste l'autre.
Le dualisme a cela du bon qu’il est facile à théoriser. Mais il faut se méfier des simplismes de ce genre.
Quoi qu’il en soit, la prière pour l’ennemi est destinée à sa conversion, afin que cesse l’inimitié. Cette prière concerne même les pervers qui souffrent d’une pathologie sociale et qui doivent se libérer des entraves dans lesquelles ils sont prisonniers, même s’ils prennent leur prison pour un talent qui leur donne leur sentiment de toute-puissance.
On voit donc que le Christ nous lance vers un horizon qui n’a pas de limite comme l’est la miséricorde de Dieu.
Voilà pourquoi l’amour que l’on porte aux autres franchit et dépasse les frontières de la communauté chrétienne. C’est le propre de l’amour que d’être unilatéral.
On peut, sans se jeter des fleurs, remarquer que le christianisme, quand il est normalement vécu, porte ce message. En effet, quand on regarde qui met en œuvre des structures pour prendre soin des autres, qui prend des initiatives en faveur des autres, quels qu’ils fussent, l’on remarque que ce sont toujours les mêmes.
Roland Cazalis, compagnon jésuite
Lv 19, 1-2.17-18 ; Ps 102 (103), 1-2, 3-4, 8.10, 12-13 ; 1 Co 3, 16-23 ; Mt 5, 38-48
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