Dans ces lectures, nous pouvons entendre les événements du monde comme étant sous l’influence de deux niveaux d’actualisation.
Je dirai qu’à la base, au niveau fondamental, il y a le royaume. Il s’agit en fait de la création se déployant lentement dans l’histoire, ou tout simplement l‘histoire.
Elle ne concerne pas que l’espèce humaine qui est la dernière arrivée sur la scène, mais toutes les communautés vivantes y compris le monde matériel.
L’espèce humaine apparaît comme une sorte de fleuron de cette montée en complexité du monde, et sans laquelle, le monde matériel et surtout le monde vivant seraient une belle ironie.
De temps en temps, il est utile de revenir sur l’histoire de l’humanité d’après les données dont nous disposons, afin de prendre de la distance par rapport à l’immédiateté des événements, et surtout pour se rappeler le chemin parcouru.
À ce propos, j’aime bien méditer sur l’évolution culturelle qui se donne à voir dans les traces laissées dans la grotte de Chauvet et celle de Lascaux, soit une distance de 20 000 ans.
On dirait qu’il ne s’est rien passé en termes d’évolution culturelle durant ce laps de temps de 20 000 ans. Puis, on perçoit très vite l’accélération de l’évolution culturelle presque de manière exponentielle dès la fin du paléolithique supérieur.
Manifestement, nous sommes en train d’entrer dans l’ère numérique et la technoculture.
Ainsi, chaque décennie laissée derrière nous fait figure de préhistoire vu la vitesse à laquelle vont les choses pour ceux qui sont dans le peloton de tête.
Par ailleurs, nous savons qu’en même temps, la caravane humaine s’étire de la culture high-tech jusqu’au paléolithique supérieur, et tout cela dans la même époque, la nôtre au XXIème siècle.
Alors, dans ce monde distendu et en mouvement, à la base, le règne de Dieu se lève, on ne sait comment, et produit son fruit en son temps.
Cette affirmation de Dieu, cette profession ou cette promesse de Dieu, comme elle est exprimée chez Ezéchiel « je suis le Seigneur, j’ai parlé et je le ferai » est ce sur quoi, dans un deuxième niveau, nous fondons notre espérance, et sur laquelle nous nous appuyons.
Ce faisant, nous nous disposons à participer à l’œuvre du royaume, chacun selon son inscription dans le monde.
Ce faisant, nous dirigeons notre énergie et notre affectivité vers le royaume.
Ce faisant, nous nous tournons vers la sainteté de Dieu et entrons chaque fois davantage dans sa manière de faire et de voir.
Quand nous tenons ce type de langage, nous ne surfons pas sur la réalité, comme si le monde était un long fleuve tranquille.
Ezéchiel a en arrière-fond la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor et la déportation de l’élite et d’une partie du peuple à Babylone.
Néanmoins, il affirme que Dieu est toujours déjà engagé à faire revivre le peuple, même si les décideurs vont par leurs chemins et suivent leurs logiques.
En réalité, ce qui fait défaut entre ces deux niveaux d’actualisation du monde est précisément la synergie.
Il manque une synergie entre la logique du royaume et celle des décideurs, ou dit autrement, la synergie entre le bien de l’humanité et celui des autres communautés vivantes et celle des décisions qui orientent le monde.
Or, il n’est pas nécessaire d’être un croyant pour être en synergie avec la logique du royaume. Néanmoins, le fait d’être croyant nous permet d’avoir un état d’esprit, ce qu’on appelle encore « l’Esprit du Christ ».
Pour avancer sur le chemin de la synergie, je crois qu’il faut éduquer, éduquer et encore éduquer en vue du bien de l’humanité et des autres communautés vivantes. Voilà une œuvre dans laquelle l’Église a une expertise et peut même être prophétique en introduisant de nouvelles manières de faire là où les déficiences sont les plus criantes.
Père Roland Cazalis
Ez 17, 22-24 ; Ps [91 (92), 2-3, 13-14, 15-16] ; 2 Co 5, 6-10 ; Mc 4, 26-34