C'est vrai, n'y a-t-il pas une contradiction entre la conversion à laquelle Jésus nous appelle et la manière dont il s'adresse à nous ? "Ne jugez pas", ok, ça passe. Mais après, se faire traiter d'hypocrites ! Faudrait savoir, non ?!
Mais c'est sans doute que si j'entends "hypocrite !" comme un jugement, c'est que je me sens jugé et je suis encore dans le jugement. "Hypocrite", c'est un cri de compassion, comme quand il s'adresse aux gens bien mais suffisants : "malheureux êtes-vous, sépulcres blanchis, malheureux vous qui chargez les épaules des brebis de lourds fardeaux dont vous vous épargnez vous-mêmes, etc.". "Hypocrites !", c'est le cri du cœur d'un Dieu empêché de se donner au petit, au pauvre, tant que le berger à qui il confie sa création ne voit pas la poutre qui est dans son œil.
La poutre, elle vient d'un tronc d'arbre. La paille, elle vient d'une tige de céréales. La première met des dizaines d'années à se constituer, la seconde, elle, ne met pas un an. Je m'habitue davantage à ma poutre qu'à une paille qui vient et part. Une poutre dans l’œil, je n'en ai jamais vu. C'est trop gros pour que ça me dérange, j'ai grandi avec, je m'y suis fait, trop bien fait. Il faut être Fils de Dieu, fille de Dieu, pour recevoir un œil qui aime la vie, qui ne juge pas car il, elle, se sait aimer, et c'est sa lampe sur la route. La paille de l'autre qui m'irrite est peut-être un cadeau de Dieu pour reconnaître la poutre qui fausse mon regard sur l'autre, sur moi, sur Dieu, sur la vie. Allez, la paille dans l’œil des autres, tu vas l'avoir, la poutre qui t'écrase. Tu vas connaître le cœur compatissant de ton Père et Créateur ! Tu vas sortir alors d'une image de Dieu juge et dur, qui punit et se venge ... Images ancrées, grosses comme des poutres, elles aussi. Des pailles viennent à notre secours, pour boire à la source dans notre air trop chaud ...
Olivier de Framond, compagnon jésuite