Jeudi saint 2023
Les textes de ce jeudi saint convoquent des gestes familiers comme le repas, des événements particuliers comme des fêtes annuelles pour leur donner un sens définitif et glorieux. Dès lors, ces gestes deviennent un horizon qui tire vers le futur ceux qui les pratiquent.
Ces gestes ne sont plus individuels et privés, mais publics et communautaires.
Le premier geste concerne la fête de la première lune de printemps. Dans la culture nomade des israélites en Égypte, à la première lune de printemps, durant la transhumance, le peuple immolait un agneau. Cet agneau rôti était mangé avec des pains non levés et des herbes du désert.
Ce rituel servait de protection du troupeau contre l’exterminateur (Ex 12, 23). À la vue du sang de l’agneau placé sur le montant des tentes, ce dernier passait outre le troupeau.
On pourrait trouver des rites similaires dans d’autres cultures traditionnelles de par le monde.
Ce rituel est donc convoqué et réinvesti. Ainsi, tout le passé du peuple est convoqué et réinvesti dans ce rite ancien et désormais nouveau devient un rite fondateur, un commencement, un début de l’histoire ; un rituel qui lance l’histoire du peuple vers son horizon, rituel qu’il devra commémorer sous peine d’oublier qui il est.
Ce rite rappelle au passage à Israël qu’il doit son salut à Dieu et qu’il doit mettre sa foi dans le Seigneur, et non pas dans son armée, ni dans son intelligence et autre idole. Car, c’est le Seigneur qui sauve des maléfices et ouvre le chemin de vie.
Le deuxième geste familier concerne le repas. Lors de la cène, le Christ prend le pain et le vin, éléments typiques du repas. Et tout d’un coup, ces éléments familiers subissent une élévation et deviennent plus que ce qu’ils représentent.
En effet, dans « ceci est mon corps, ceci est mon sang » (1Cor 11, 24-25), il y a plus que le corps physique ; il faut aussi y adjoindre toutes les actions et les paroles qui s’élèvent et que nous célébrons.
Les paroles et les actions du Christ prennent avec elles nos actions et nos paroles, les présentes et les passées, si on les lui offre. Alors, elles s’élèvent dans celles du Christ. Voilà à quoi l’eucharistie nous engage et ce à quoi l’eucharistie nous attire et nous entraîne.
Le troisième geste concerne le lavement des pieds. Dans la tradition juive, le lavement des pieds est un geste d’hospitalité destiné à un invité avant le repas.
Ainsi, un disciple pouvait laver les pieds de son maître en signe de reconnaissance de la connaissance qu’il lui a transmise de la Loi.
De même, une femme peut laver les pieds de son mari, et vice versa, en signe d’affection.
Lors du repas, Jésus accomplit ce geste du lavement des pieds de ses apôtres pendant le repas.
Donc, ce n’est pas le sens de l’abaissement qui vient en premier, car Jésus est l’ami dans l’évangile de Jean. En conséquence, c’est le sens de l’affection, soit une sorte de consécration de la fraternité au sein du groupe. « Soyez un, comme nous sommes un » (Jn 17, 21) serait-on tenté de dire.
Jean est coutumier des quiproquos, en ce sens, Pierre intervient dans le sens de l’abaissement, voilà pourquoi il ne veut pas que le Christ s’abaisse devant lui.
Pierre dit qu’il n’en est pas digne. Il a raison. Qui en est digne ? Mais Jésus parle d’amour. C’est l’amour qui nous révèle notre dignité.
Passé le malentendu, Jésus posera la question sans détour : « Pierre, m’aimes-tu, toi, puisque moi je t’aime, je te l’ai signifié par le lavement des pieds » (Jn 21, 15-17)
En d’autres termes, si le lavement des pieds est souvent vu sous son l’angle du service, Jean nous rappelle que le service vient de l’amour. L’on ne confiera pas son pied à n’importe qui, en Occident en particulier, vu la charge symbolique qui accompagne cette partie de notre corps.
Après le rituel de l’agneau rôti, celui de la cène et du lavement des pieds, un autre signe, négatif cette fois, la croix, qui va subir à son tour une élévation.
Ce signe est à l’origine négatif, comme l’est la souffrance des hommes. Mais c’est l’honneur du Christ de ne pas laisser de côté ce signe patent de l’histoire humaine, l’humanité crucifiée par l’homme. Ce signe sera convoqué dans la célébration de demain.
Roland Cazalis, compagnon jésuite
Ex 12, 1-8.11-14 ; Ps 115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18 ; 1 Co 11, 23-26 ; Jn 13, 1-15
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