L’épître à la communauté de Colosses, une ville importante de la haute Phrygie, dans la province romaine d’Asie Mineure, dans l’actuelle Turquie, nous sert de point de départ de notre exploration des textes du jour.
La communauté de Colosses vit de l’influence de Paul, qui n’était plus de ce monde. L’auteur veut conserver l’authenticité de l’enseignement de Paul contre un enseignement concurrent qui cherche à concilier ou adapter la foi chrétienne aux schèmes philosophiques et des pratiques d’inspiration hébraïques du moment.
Dans cette pensée philosophique que l’on appellera plus tard la gnose, le Ressuscité est la plénitude cosmique de la vérité et les puissances invisibles qui dirigent le monde sont les membres de son corps.
Dès lors, le salut qui correspond à l’appartenance au Christ, revient à honorer les puissances invisibles dans le monde visible par les rites alimentaires, astraux et autres, dans le but de libérer la nature mauvaise et les forces démoniques.
Remarquons que cette superstructure est un peu loin de la foi chrétienne.
L’auteur de la lettre utilise un hymne pour rétablir les données de la foi en rappelant à ceux qui l’auraient oublié que le Christ est « l’image du Dieu invisible ».
Le Christ peut sauver, car en lui tout est créé.
En outre, le monde n’est pas mauvais, ou formé à partir de la matière mauvaise. En conséquence, le salut ne peut pas se réduire à l’éloignement du monde. S’éloigner du monde pour aller où ?
Enfin, il n’y a pas lieu d’honorer les puissances invisibles, car tout est soumis au Christ.
L’approche philosophique de l’époque et son complément liturgique est la manière de l’époque de chercher le chemin de salut, une préoccupation typiquement humaine.
La recherche d’un chemin de salut à notre époque prend des chemins très différents.
La grâce du moment me permet de l’illustrer.
Nous avons eu dernièrement une rencontre avec le philosophe Alain Badiou à l’Unamur (Université de Namur).
Sa première démarche a été de chercher l’Être du côté de la théorie des ensembles, en remplaçant ainsi la poésie par la mathématique.
Maintenant, il explore du côté de l’infini.
Aujourd’hui, nous pouvons produire des vérités, mais nous avons besoin des garanties de ces vérités, puis des garants des garanties de ces vérités.
Le problème et la démarche ne sont pas nouveaux.
Descartes s’était déjà affronté à ce dilemme. Dieu devient pour lui le garant des garanties, mais un Dieu un peu théorique et fonctionnel que l’Église a maintenu à distance.
Néanmoins, pour Badiou, la mathématique ou les procédures de production de vérités doivent se passer d’un système de garantie, car ce sont les vérités elles-mêmes, en réseau, qui se donnent une consistance sans faire appel à une transcendance absolue.
C’est d’ailleurs le propre de la modernité que de poser une notion du vrai sans avoir besoin d’un garant transcendantal de ce vrai.
Badiou reconnaît que Platon qui avait, avant lui, congédié la poésie ne cesse de citer les poètes.
Il dit qu’il doit faire place à la poésie dans ses prochaines recherches, car il reconnaît que chaque sujet a un poème secret ou sous la mouvance d’un poème caché.
Ce poème secret ne doit pas apparaître au grand jour, car c’est dans les coulisses qu’il est créatif, qu’il opère.
Et là, je me demande si le poème secret de chacun n’est pas le chemin, sans garantie, vers un infini ou un absolu.
Ce qui caractérise cet infini est qu’il est structurant du sujet ; il donne une structure, une colonne vertébrale au sujet. Si ce n’est pas le cas, alors on est dans une spéculation gratuite autant que futile.
Voilà une illustration de la recherche d’un chemin de salut à l’époque contemporaine.
La première lecture nous présente David comme la figure du roi idéal, un roi qui s’est voué entièrement au service de Dieu, un roi dont la figure va s’accomplir dans le futur.
Donc, le titre donné au Christ, « Fils de David » est très prestigieux. Il est source de salut pour les autres, en particulier pour les vulnérabilisés et pour lui-même.
Mais que se passe-t-il dans le récit que l’on nous propose ?
On nous décrit un roi qui suscite la dérision et la moquerie.
Pilate est le premier à ridiculiser ce roi avec son inscription lapidaire « celui-ci est le roi des juifs ».
Il ridiculise non seulement l’intéressé, mais aussi les juifs qui l’ont livré.
Ainsi, la dérision part du plus haut socialement au plus bas dans la couche sociale.
D’abord Pilate, puis les chefs, puis les soldats, enfin le larron qui est le plus bas socialement. À ce moment –là, le Christ est encore plus bas socialement que le larron. « Il est compté parmi les pécheurs », nous dit Isaïe.
Les témoins de la scène sont le peuple, qui observe, les bras ballants.
Après cette descente en règle et avoir touché le fond, une remontée s’opère. L’autre larron lui demande la grâce royale : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume ».
Donc, deux personnes partagent la même condition, l’une ne voit rien et ricane ; l’autre vient à la lumière et lui demande de le prendre avec lui.
Cet homme reconnaît la royauté du Christ, une royauté du monde de Dieu.
Donc, c’est sur la croix qu’est reconnue ou qu’est révélée la royauté du Christ, pas la royauté qu’on voulait lui donner de force (Jean 6, 15).
La croix est un moment ou un lieu de révélation.
Nous célébrons le Christ Roi, c’est le cas. Néanmoins, cette royauté ne se voit pas immédiatement dans le monde.
Si l’on veut voir la splendeur de la royauté du Christ, il faut aller, par exemple, voir ce qui se vit au Foyer Saint François, pas loin d’ici, par des gens qui ont l’esprit du Christ. C’est la croix et la splendeur en même temps. Mais, c’est la splendeur qui nous écarquille les yeux et nous fait communier à l’invisible.
En ce sens, la croix et le tombeau vide ont la même puissance à faire voir la splendeur de l’indicible.
Roland Cazalis, compagnon jésuite
2 S 5, 1-3 ; Ps 121 (122), 1-2, 3-4, 5-6 ; Col 1, 12-20 ; Lc 23, 35-43