La fête de l’Assomption est l’occasion de nous rappeler l’histoire du salut, l’histoire tout simplement, dès que nous croyons que la vie est un don de Dieu.
Tout naturellement, c’est l’occasion de nous rappeler, donc de célébrer celles et ceux qui ont permis à cette histoire de franchir des pas importants.
Franchir un pas.
Quand on fait de la haute randonnée dans les Pyrénées, et quand on prend le sentier vers le pic de la Munia, de 3133 m, à la frontière franco-espagnole, vers 2900 m, on tombe sur une dalle lisse, avec une méchante fissure dans le sentier rocheux appelée « le pas du chat », d’où l’on voit le vide vertical.
Il faut faire un saut pour franchir cette anfractuosité afin de reprendre le sentier de haute randonnée.
Cela s’appelle « franchir un pas », car il y a une rupture, une discontinuité avec ce qu’il y avait avant.
Quand on marche en présence de Dieu, on est amené à franchir divers pas, diverses discontinuités.
Les discontinuités que Dieu nous amène à franchir sont d’un bien autre ordre qu’un simple saut au-dessus d’un précipice.
Jésus entre en humanité par ce genre de discontinuité que permet Marie.
Sans conteste, c’est la discontinuité majeure dans l’histoire de l’humanité et du monde.
Il y a d’autres discontinuités dans l’histoire qui paraissent moins spectaculaires.
C’est le cas de Samuel par sa mère Anne.
C’est le cas de Jean-Baptiste et bien d’autres.
L’Assomption transmise par la tradition est aussi une discontinuité.
Tandis que les rationalistes les plus verts devisent sur ce qu’autorise la raison et ce qu’elle interdit, — comme ces discontinuités —, celles et ceux qui désirent marcher en présence de Dieu sont invités à faire comme Marie, c.-à-d., à se mettre en route pour porter la bonne nouvelle et rendre témoignage de l’œuvre de Dieu.
Quand on entre dans cette dynamique, alors apparaît une continuité qui jamais ne s’estompe.
C’est la continuité de la Parole et la reprise de la Parole dans l’actualité de ma personne et de mon histoire personnelle.
La reprise de la Parole est comme un long câble initial que l’on prolongerait en le doublant et en le torsadant avec un câble de la couleur de son existence. Quelqu’un d’autre viendra le tripler en le prolongeant avec un câble de la couleur de sa vie. Puis un autre viendra le quadrupler avec son câble de vie et ainsi de suite.
C’est ainsi qu’Anne, la mère de Samuel, se saisit des paroles adressées à ses prédécesseurs pour rendre grâce et en fait un cantique.
Marie se saisit du cantique d’Anne pour en faire son Magnificat.
Les Béatitudes reprennent le Magnificat pour l’ouvrir à l’universel dans un style renversé.
Ainsi, chaque fois que Dieu amène quelqu’un à faire un saut au-dessus du vide, à franchir une discontinuité, cette personne peut éprouver le besoin de se saisir des paroles qui lui ont précédé pour exprimer sa gratitude par un cantique personnel.
Ce faisant, elle reprend les paroles des psaumes, celles d’Anne, celles de Marie et les prolonge des siennes, et cela, sans rupture.
C’est la prière ininterrompue de l’Église.
Dans cette prière continue, nous reconnaissons la voix de Marie, et nous pouvons emprunter ses mots pour dire oui à la vie, pour exprimer notre désir de marcher en présence de Dieu en réponse à son invitation.
Marie nous donne un visage pour aimer Dieu.
Marie nous donne son visage pour aimer son Fils.
Aimer, c’est aussi prier.
Aimer est probablement la prière que Dieu préfère ; et très probablement, nous aussi.
Roland Cazalis, compagnon jésuite
Ap 11, 19a ; 12, 1-6a.10ab ; Ps 44, (45), 11-12a, 12b-13, 14-15a, 15b-16 ; 1 Co 15, 20-27a ; Lc 1, 39-56