Evangile selon St Marc 8, 27-35
Ils lui répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des prophètes. »
Et lui les interrogeait : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Pierre, prenant la parole, lui dit : « Tu es le Christ. »
Alors, il leur défendit vivement de parler de lui à personne.
Il commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, trois jours après, il ressuscite.
Jésus disait cette parole ouvertement. Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches.
Mais Jésus se retourna et, voyant ses disciples, il interpella vivement Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »
Appelant la foule avec ses disciples, il leur dit : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.
Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera.
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Le Seigneur appelle tous les hommes
« Ce sera, ici, comment le Christ appelle et veut tous les hommes sous son étendard ». Exercices Spirituels n° 137
L’évangile ne cesse d’avancer, de mûrir, de se déployer dans le monde et de travailler nos cœurs. Dimanche après dimanche, nous entendons, nous percevons les multiples relations qui se nouent entre Jésus et ses disciples, au grès des déplacements, des rencontres, des événements. Quelque chose d’unique, de singulier se tisse entre lui et eux, entre lui et chacun de nous. Aujourd’hui, la relation va prendre un nouveau tour, un des deux partenaires va faire une avancée significative. Il va dire quelque chose d’éminemment personnel mais qui ne sera pas sans conséquence sur les autres, sur les premiers disciples, sur nous aussi, puisqu’à la fin de cette phase Jésus s’adresse à tous, c’est-à-dire à la foule et à ses disciples et donc aussi à nous, hommes et femmes du XXIième siècle. Mesurons cette tension, pour y ouvrir notre propre existence !
« Chemin faisant, il les interrogeait… » Une vie, des échanges au quotidien, des expériences partagées et puis, à un moment que nous ne nous expliquons pas vraiment, nous nous rapportons différemment, nous nous adressons différemment à l’autre, nous cherchons à faire alliance. Ce qui veut dire que l’un et l’autre vont se parler autrement, se reconnaître, c’est bien ce qui se passe sur ce chemin, chemin de Jésus, chemin des amours humaines, des amitiés profondes, chemin de la rencontre… Pas à pas, Jésus amène les disciples à lui dire ce qu’ils pensent, ce qu’ils croient qu’il est. Une parole qui va les lier entre eux de manière nouvelle surgit, une parole qui va faire naître une nouvelle intimité entre eux… Jésus a pris l’initiative, il se laisse ensuite recevoir par les disciples, par Pierre. Il reçoit leurs réponses. « Tu es le Messie ! » Mais tout aussitôt, Jésus parle, il dit des choses nouvelles. C’est avec autorité, puisque, nous dit Marc, il les enseigna…
« Et pour la première fois, il leur enseigna qu’il fallait… » Une première fois, cela veut dire qu’il y en aura bien d’autres. Jésus enseigne, cela veut dire que Jésus énonce une vérité à connaître, à comprendre, à intégrer, à laisser animer, juger la manière de voir, de vivre chez l’autre… bref à se l’approprier. Une vérité qui ne semble toutefois pas si simple à recevoir puisqu’il faudra y revenir et y revenir encore… Cette vérité est en lien direct avec ce que Pierre a dit : « Tu es le Messie ». La vérité énoncée par Pierre n’est pas entière, puisque Jésus éprouve le besoin de la compléter, et le complément est difficile à recevoir, puisque Jésus aura à l’enseigner plusieurs fois. Mais ce complément, au terme, sera reconnu, puisqu’il sera intégré dans l’annonce de la Bonne Nouvelle, portée par les disciples. Alors qu’est ce complément ? C’est que le Messie, pour être le Messie, devra subir sa passion…
Le texte nous dit qu’il n’est pas possible d’être le Messie, sans porter aussi ce rejet… Pourquoi cela ? Difficile d’y répondre nous-mêmes. Mais nous pouvons dire que le fait de vouloir être le Messie de tous, ce que doit être le Messie selon l’attente juive, demande de faire, d’agir autrement que les autres hommes, pour les inclure. Être messie fait que j’appelle chacun et tous, dans leur humanité entière, et que je m’ouvre à tous... Et cela ouvre inéluctablement à la violence qui est en l’homme, comme chaque fois qu’un homme agit, mais que je vais « traiter » autrement. Non pas comme toujours, les uns contre les autres, le juif contre le grec, les français contre les allemands, les hommes contre les femmes, les riches contre les pauvres… et d’où rien ne sort. Mais une violence que je puis porter pour tous, que je m’engage à porter pour tous et notamment pour mon adversaire… Nous pouvons comprendre que ce chemin nouveau, et Pierre et nous, nous y résistons de tout notre être, il nous entraîne sur un chemin inconnu, impraticable si nous ne sommes précédés… Et la bonne nouvelle, c’est que nous sommes précédés sur ce chemin. Jésus nous y appelle… Nous pouvons l’emprunter.
« Appelant la foule et ses disciples, il leur disait… » Le Seigneur nous appelle tous à le suivre sur son chemin. C’est un enjeu absolu. Nous pouvons comprendre les propos si durs de Jésus envers Pierre, car Pierre risque, et bien d’autres à sa suite, de fermer ce chemin, chemin qui n’est pas celui des hommes, chemin qui ne peut s’ouvrir que par l’action généreuse et gracieuse du Seigneur Dieu… Nous avons, nous aussi, au gré du cheminement de notre propre histoire à nous ouvrir, un jour ou l’autre, à cette vérité entière, à considérer la profondeur de l’appel du Seigneur. Cet appel total qui porte et le oui de l’humanité et le non de l’humanité, un appel qui nous rejoint au plus profond de notre être, là où je commence à être humain, à pouvoir parler, désirer… Comprendre cela, nous donne d’aller à lui avec toute notre humanité, la part lumineuse et la part sombre. Ce qui veut proprement dire « porter notre croix », et accepter l’idée de nous perdre, c’est-à-dire perdre cette manière humaine de faire à laquelle nous sommes viscéralement attachés, et qui inéluctablement nous conduira à la ruine, pour nous ouvrir à la manière de la Bonne Nouvelle… qui sauvera notre vie dans la suite du Christ Jésus parce qu’elle cherchera, en son fond, à sauver la vie de tous et notamment celle de mon ennemi...
père Jean-Luc Fabre, photo http://mg.chemin-neuf.org/vie-spirituelle-fr/exercices-spirituels-de-saint-ignace/imageBandeau