L’intervention de Thomas est intéressante, car elle évoque un sujet très présent dans la pensée, à savoir, la question de la preuve. Et cette question est un fait important dans le débat entre les rationalistes et les mystiques.
Il ne s’agira pas de savoir qui a raison, mais de souligner l’une ou l’autre notion qu’il convient d’avoir à l’esprit.
Tout d’abord, il est saint et avisé de s’interroger sur ce que l’on croit.
Ensuite, il faut tout de suite rappeler que la preuve ne doit pas remplacer la foi, et ne peut pas remplacer la foi ni la fonder non plus.
La foi est une dimension essentielle à la vie, donc il n’est pas question de la substituer par autre chose. En général, on la substitue par une autre foi, et de piètre nature.
Enfin, la limite de la preuve, quand on y accède, la limite réside en ce que la preuve n’a pas la puissance de donner vie ou d’engendrer ce qu’elle veut justifier.
Précisément, ce n’est pas en mettant son doigt dans les marques des clous que l’on adhère au Ressuscité, ou du moins, que le Ressuscité se montre, c.-à-d. qu’il passe de sa position de retrait, où il est non reconnaissable, à la manifestation.
Sa manière d’apparaître se signale par les traces qu’il laisse dans notre sensibilité, par sa manière de toucher notre sensibilité ou notre intériorité, au point de la conformer, de lui donner une forme, voire une orientation.
Sa manière de se manifester, c’est par exemple en prononçant le nom « Marie », et Marie de Magdala reconnaît son nom, et se retourne pour constater ce qu’elle vient d’entendre.
Sa manière de se manifester, c’est sa façon de parler de lui-même d’après ce qu’en disent les Écritures, à deux hommes sur le chemin d’Emmaüs. Sa parole provoque cette brûlure dans le cœur qui leur fait sentir que celui qui parle est dans le vrai, il est si proche de celui dont il parle, et que sa présence est indicible, et qu’ils ne veulent pas qu’il parte. Reste ! disent-ils.
Mettre son doigt dans les marques des clous, c’est constater le passé, constater les vestiges de la mort.
Mais la mort n’a pas duré longtemps chez lui. La mort est finie pour lui.
Les preuves de quoi ? Les preuves de la croix ? Les preuves de la mort ?
De toute façon, mettre son doigt dans les marques des clous est une initiative de Thomas. C’est ce qu’il réclamait. Néanmoins, il ne peut rien faire advenir avec ce geste.
Jésus lui dit d’ailleurs, fais-le. Et alors ?
On ne peut pas l’attraper avec des preuves, le faire venir ou le retenir.
Croire dans ce contexte, c’est pareil. Ce n’est pas quelque chose que l’on saisit, que l’on maîtrise avec des démonstrations.
Il faut mettre le croire en lien avec le geste que fait le Ressuscité en l’absence de Thomas, c.-à-d., quand il souffle sur les apôtres en leur disant, « recevez l’Esprit, pour que vous ayez la vie en vous ».
« Recevez ». Ce don répond normalement à un « chercher ».
Symboliquement, nous avons le chercher de Marie Madeleine et celui d’autres femmes qui cherchent le corps du Crucifié, pour parachever sa sépulture et l’honorer comme il mérite.
Elles ont été gratifiées par bien plus précieux qu’un corps de crucifié, puisque c’est le Ressuscité, en personne, qui les trouve, et elles sont donc les premières à connaître cette bonne nouvelle ou cette révélation.
Donc, avec le « prouver », vous êtes toujours avec vous-même, vous êtes votre propre assurance, comme il avait dit à certains, vous avez déjà votre récompense, donc vous avez votre assurance. Votre preuve, et c’est vous-même. Pas lui.
Car, avoir la vie en soi, au sens exprimé par le Ressuscité, c’est avoir la vie qu’est Dieu et qu’opère l’Esprit.
Nous sommes vivants, mais notre vie ne peut nous suffire, à moins que l’on veuille la thésauriser, c.-à-d., mettre de la vie de côté comme on fait avec de l’argent, pour en profiter plus tard, quand on sera dans le besoin.
Notre vie ne peut nous suffire, car l’humain est un être vers la vie, et nous aspirons à cet au-delà de nous-même, voilà pourquoi nous investissons la nôtre, car la solution au problème de la vie est la vie même, celle que peut donner celui qui est la vie même.
Donc, dans cette dynamique du monde de la vie, la logique de la preuve fait long feu, ou la preuve tombe à l’eau.