Sg 1, 13-15 ; 2, 23-24 ; Ps [29 (30), 2.4, 5-6ab, 6cd.12, 13] ; 2Co 8, 7.9.13-15 ; Mc 5, 21-43
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Ces textes sont très riches, je me conterai de relever trois thèmes.
Le premier se perçoit dans le livre de la sagesse. Je l’avais déjà souligné au moins une fois, la mort ne s’oppose pas à la vie, car la vie n’a pas d’antithèse.
Ce que nous appelons la mort fait partie de la vie. Ce que nous appelons la mort, au sens noble du terme, est précisément ce que le Christ nous a enseigné, à savoir, le fait de rendre l’esprit quand nous l’avons décidé, ou du moins, quand notre heure est venue. Cette dernière expression est moins ambiguë.
En revanche, ceux qui prennent parti pour la mort, c.-à-d. ceux qui tentent de la détourner, de la déplacer de son lieu naturel pour en faire un instrument de peur, de torture, ou pour exercer la toute-puissance sur les autres, le fameux « pouvoir de vie et de mort », ceux-là introduisent dans le monde quelque chose qui n’est pas de Dieu, car Dieu n’a pas ce genre de chose en lui.
En faisant cela, ils s’en prennent à la vie, ils s’en prennent à quelque chose qu’ils ne peuvent pas maîtriser, qu’ils ne peuvent pas donner ou reprendre selon leur bon plaisir.
Nous ne pouvons que transmettre la vie, et il faut être deux pour la transmission, de sorte que personne ne puisse s’arroger le droit de le faire. Il faut en effet le consentement de l’autre, même si les lois sociétales permissives permettent de transgresser cette loi fondamentale de la vie. Mais, il y aura toujours un prix à payer à ce genre de transgression et que devront partager les deux protagonistes. Voilà une autre façon d’introduire de la souffrance dans le monde, comme s’il n’y en avait pas suffisamment déjà.
Ceux donc qui détournent la mort pour en faire un instrument au service de leur désir de toute-puissance sont en réalité jaloux de la vie ; la personnification de cette réalité est bien entendu la figure du Satan de la bible.
Le jaloux est toujours jaloux de la vie de l’autre. C’est la démarche de la cohorte lors de la passion du Christ. Mais le Christ rend l’esprit, donc la cohorte n’a pas pu l’attraper, car on ne peut pas retenir captive la vie et l’annihiler.
Ceux qui s’engagent dans cette voie se trompent, car la vie n’a pas d’antithèse. Dieu fait dans l’unique.
Le deuxième thème affleure dans le texte de Paul qui nous ramène à la peur de manquer.
C’est la même peur que brandissent ceux qui tentent de détourner la mort. Au contraire, l’histoire de la manne met en scène que la peur qui amène à accumuler en vue de demain, quand elle génère un surplus inutile, ce surplus est perdu ou pourrit si on le conserve. Tout le monde connaît cela ou en a fait l’expérience.
Quand on lit la phrase suivante : « dans la circonstance présente, ce que vous avez en abondance comblera leurs besoins, afin que réciproquement, ce qu’ils ont en abondance puisse combler vos besoins, et cela fera l’égalité ». Quand on pense aux réfugiés, cela donne à penser. Mais cela se gère avec discernement. Alors, quels sont nos besoins ? Qu’est-ce qui nous manque ? De quoi avons-nous faim ? De quoi sommes-nous riches ? Qu’avons-nous en abondance ? Et réciproquement.
Enfin, avec l’évangile, le troisième thème vient avec la fille de Jaïre. Jésus met en scène l’antithèse de ceux qui tentent de déplacer la mort de son lieu naturel.
Quand la mort est à sa place dans le monde de la vie, on remarque bien la symétrie entre rendre l’esprit et le recevoir à nouveau.
Dieu reçoit l’esprit et le redonne. Il est à parier que la fille de Jaïre n’aura plus peur de la mort, c.-à-d., ne sera plus sous l’emprise des promoteurs de la mort, dont le vrai désir est de s’emparer de l’esprit ! Voilà qui leur donnerait le summum de la puissance ! Mais malheureusement pour eux, ce désir ne restera qu’à l’état de phantasme. Dieu lui, reçoit l’esprit et le redonne.
Néanmoins, le sens plénier du texte se découvre quand il est mis en relation avec la femme qui a des pertes de sang depuis la naissance de la fille de Jaïre.
Le fait de m’être occupé d’enfants dans les camps de vacances, puis d’enseigner dans les Grandes écoles et universités, m’a permis de comprendre que notre nature profonde est d’engendrer.
Nous sommes tous appelés à être pères ou mères d’une manière ou d’une autre. Les jeunes et moins jeunes qu’on nous confie nous disent en quelque sorte « me voilà, prends soin de moi, fais-moi grandir, c’est ton boulot, c’est la mission de tous ceux qui sont en position d’adulte par rapport à un plus jeune ».
Si l’on refuse sa nature/mission profonde qui est d’engendrer, alors on entre dans la malédiction qu’est la stérilité, alors la vie risque de nous délaisser et délaisser ceux qui nous sont confiés. Voilà ce que peuvent symboliser les pertes de sang pour rien et la mort de la fille de Jaïre.
Si c’est cela le sort de ceux qui refusent d’engendrer, alors combien pire celui de ceux qui veulent s’emparer de la vie, même si c’est un fantasme. Les psaumes les qualifient d’impies dont le chemin se perd.
L’impie, c’est le blasphémateur, non pas contre Dieu, qui en a vu d’autres, mais blasphème contre le monde de la vie, contre le blasphémateur lui-même ! Il s’agit là d’un processus d’autodestruction que Judas met en scène.
Mais ces perspectives peu réjouissantes ne sont pas inéluctables, car personne n’est jamais trop loin de Dieu ni trop loin du monde de la vie.
Nous avons aussi cette capacité à revenir vers le monde de la vie, à revenir vers Dieu comme le symbolisent la démarche de cette femme et celle du père de la fille.
Voilà un bel exemple du génie du christianisme. La réalité humaine, en son niveau le plus basique, fait toucher du doigt la théologie la plus haute et la réalité de Dieu. De la sorte, on ne peut être en phase avec Dieu si on ne l’est pas avec le monde humain ou le monde de la vie.
Père Roland Cazalis
