« Donne-nous aujourd’hui... »
Quand on vous livrera, ne vous inquiétez pas de savoir ce que vous direz ni comment vous le direz : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là. Car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous.

La famille en prière dans ses champs alors que Franz est déjà arrêté.
Ce court passage de l’évangile m’a ramené à « une vie cachée », le film le plus récent de Terrence Malick. Tout y gravite autour de Franz, un paysan autrichien, qui, dès l’arrivée des allemands, s’oppose à l’administration nazie, en refusant de prêter serment au Führer. Nous voyons comment, peu à peu, Franz doit renoncer à son existence quotidienne, saine et joyeuse, faite de labeur, de vie familiale et de vie communautaire, pour être arrêté, incarcéré, jugé et exécuté, en entrainant sa famille dans ce tourbillon.
Sa capacité de résistance, de prise de parole fondée qui tient devant tous ses très nombreux interlocuteurs [curé, autorités municipales, autorités militaires, épouse, famille, relations villageoise, juge, avocat, codétenus] prend sa source dans la manière même dont il vivait sa foi dans son existence.
Etre capable, en situation, de répondre selon l’Esprit me semble demander d’avoir appris à recevoir modestement son présent, comme un pur don, au jour le jour. Réciter le « Notre Père » nous y prépare doucement, prière qui donne à chacun de formuler pour aujourd’hui la demande filiale de son pain quotidien, à partager avec les autres.
Trois attitudes peuvent conforter encore ce cheminement vers la réception pleine de sa situation présente. Franz nous le montre dans sa manière de vivre son existence avant l’arrestation.
La générosité de l’être, qui nous apprend à donner à celui qui a besoin, en ne gardant pas pour soi, et en saisissant que tout est reçu, pour être donné. Pour Franz, ce sont les actes de générosité envers les pauvres posés par lui ou sa famille, l’acceptation confiante des aléas des récoltes.
La parole vraie et échangée qui me donne d’avoir un rapport distancié à mon existence et me rend libre. L’existence est seulement le lieu où ma liberté s’engage. C’est elle qui compte. Pour Franz, cette libération se joue dans la conversation incessante avec son épouse, qui pourra se poursuivre jusqu’à la prison. Cette conversation creuse en lui l’écart où sa liberté prend conscience d’elle-même.
La frugalité consentie qui fait que je ne suis pas pris par l’appât du gain ou le désir d’accumuler. Je reçois jour après jour. Je suis ouvert à ce qui arrive. Le jour de la grande épreuve je puis tenir, je ne suis pas seul, je suis avec mon Seigneur, je reçois son Esprit, je respecte ma liberté comme le plus précieux en moi.
Jean Luc Fabre, compagnon jésuite