Dans ces quelques versets, deux comportements s’opposent : jeûner parce que les autres, tous les autres le font les disciples de Jean Baptiste, les pharisiens, le faire donc par imitation, intimidation ou bien ne pas jeuner parce qu’un développement de la vie a lieu aujourd’hui en moi, au sein de mon propre groupe, un développement plein de joie et de présence. Il est parlé d’époux, de noces. Alors, plus tard, dans une évolution de la situation que je connais, jeûner pourra prendre sens, comme l’expression d’un deuil, d’une attente, d’une conversion, par rapport à ce qui se vit aujourd’hui.
Il n’est peut-être pas si innocent que l’Eglise nous propose de considérer cette tension le premier vendredi du carême, le vendredi étant une journée souvent consacrée au jeûne. Elle nous propose peut-être de réfléchir à la manière dont nous entreprenons ce chemin du carême : un chemin d’obligation, d’exploit ou un chemin d’écoute, de déplacement…
Laissons résonner la tension entre ces deux approches pour mesurer les deux ambiances qui se produisent dans cette pratique instituée du jeûne ou dans l’absence présente de cette pratique.
Il y a d’une part une dynamique portée par la raison décisionnelle qui prend en charge la situation, qui, du coup, s’impose à elle, qui se prévoit, qui est abstraite, formelle, extérieure en attente d’un fruit prévu qui vient de ce qui a été posé, imposé, une attitude qui se ferme au reste en se centrant sur l’obligation. Le temps est inerte et doit être rempli, il est un temps « chronos ».
Tandis que dans l’autre approche, ce n’est pas la raison a priori, mais l’expérience qui conduit, ce qui advient. Dès lors la pratique du jeun sera une réponse et non pas une obligation. Elle sera singulière, surgissant de l’intérieur de la liberté de la personne ou du groupe. Elle sera ouverture, attente dans un temps non plus « chronos » mais « kairos ». Elle sera reliée à plus grand qu’elle…
Laissons cette tension nous travailler. Que le cadre nous mette en mouvement, nous éveille, nous rassemble mais que surgisse en moi la liberté de l’aujourd’hui, de la rencontre. Le Seigneur veut notre sainteté ouverte à son aujourd’hui pas notre perfection fermée sur un modèle a priori. Le Psaume invitatoire ne cesse de le dire « Aujourd’hui, écouterez-vous sa Parole ? »