Le discernement et l’écoute du Seigneur
Il est très bon de réentendre, avec la première lecture, que ce que l’on appelle le discernement n’est pas une invention d’Ignace de Loyola, ou l’affaire des jésuites. Mais qu’il s’enracine dans l’expérience juive et chrétienne, et en particulier dans la grande tradition monastique.
Et peut-être qu’un grand don de la vie monastique est justement de donner à voir ce que cela peut vouloir dire, la recherche d’une vie ordonnée à l’écoute du Seigneur. Le travail, la prière, la vie communautaire, avec un même objectif : « attelés à plusieurs pour labourer sans relâche le champ coriace de l’éternité » (Philippe Jaccottet). Pour la perle de grand prix, pour le bonheur, parfois paradoxal, que Dieu seul peut donner.
On peut penser à ce que disait un vieux moine de la Trappe : « on nous dit : il n’y a plus de prêtres, il faut que vous alliez en paroisse… Mais que serait un arbre sans ses racines ? »
Ce que rappellent les moines et moniales, c’est ce que nous vivons à notre échelle dans chaque temps de retraite : ce temps pris, en silence, ou à l’écart : un temps du côté des racines. De ces ancres invisibles, mais fondamentales, par où vient la sève qui permet la vie.
Le combat spirituel
Cette écoute du Seigneur ne va pas sans combat. On peut l’entendre dans la demande des Douze à Jésus : « nous avons tout quitté… est-ce en vain ? » A quoi bon ? Question qui ne peut pas ne pas surgir par moment, dans toute vie qui a décidé de se mettre radicalement à l’écoute du Seigneur.
On peut penser à une belle scène du film Des hommes et des dieux, autour des moines de Tibhirine en Algérie. Au moment de décider de partir, ou de rester au risque d’une mort probable, ces dialogue entre l’abbé et plusieurs de ses frères.
Quelle vie, à demeurer ici ? A quoi bon ?
Et cette question, Jésus l’accueille. Le combat spirituel a sa place – dans les moments de crise, les moments de choix : où Dieu me conduit-il ? Où est la vraie vie, le vrai bonheur ?
Le film donne aussi à voir la grande liberté de ce choix, pour chacun des moines – qui nous donne à sentir ce que veut dire le discernement.
Là encore, c’est sans doute un des dons de la vie monastique : donner à voir sous une forme (il y en a d’autres) qu’à travers les combats, les questions, une fidélité dans la continuité est possible avec Dieu. Et que cette fidélité ouvre à la paix, pour soi et pour d’autres.
La promesse
Jésus répond aussi par une promesse. Vous trouverez des frères, des sœurs, et la vie éternelle.
On peut comprendre cette phrase en pensant à nouveau aux moines de Tibhirine : combien de frères et de sœur n’ont-ils pas eus durant leur vie, et plus encore après leur mort ? Et quelle postérité, bien au-delà des frontières ?
La vie éternelle : ils en ont donné quelque chose à voir. En restant auprès du peuple algérien... en acceptant la mort possible, et en pardonnant d’avance à qui la donnerait.
Ce qui permet peut-être d’entendre cette phrase énigmatique : « vous jugerez les tribus d’Israël ».
Qu’ils soient associés au jugement nous dit peut-être que la manière dont les moines et les moniales apprennent à regarder le monde nous aide à découvrir quelque chose du regard de Dieu sur ce monde.
Pour conclure – invitations
S’il fallait ressaisir ce qui précède en quelques phrases, ce pourrait être ainsi :
Une invitation à prendre soin des racines, dans l’écoute silencieuse, en apparence inutile, du Seigneur. En reconnaissant que le combat spirituel y a toute sa place.
Et en croyant qu’il y a une fécondité à oser demeurer, en ces lieux de l’écoute et du combat… et plus encore, que s’y donne à voir quelque chose du regard de Dieu sur les violences de notre monde.
Nous pouvons demander la grâce de le vivre à notre mesure, pendant ces jours, et dans le reste de notre vie.
Un compagnon jésuite, Pr 2,1-9 ; Ps 33(34), 2-11 ; Mt 19,27-29