Nous commençons la nouvelle année liturgique, année A, avec la figure du Christ. Voilà une manière de remettre l’église au centre du village, de reprendre conscience de la figure centrale du Christ, pas seulement pour l’Église, mais pour les peuples, pour le monde et pour l’univers.
Cette fête de la royauté du Christ demande de reprendre de la hauteur pour reprendre conscience du monde comme don, sinon le monde est sans pourquoi.
Duns Scot, le franciscain du XIVe siècle, originaire d’Écosse et dénommé le Docteur subtil, soutient que le monde est un don que le Père fait au Fils en vue de l’Incarnation.
La Voix approuve l’événement quand il se réalise en disant « celui-ci est mon fils bien-aimé en qui je trouve ma joie, écoutez-le » (Mt 3, 17).
Duns Scot ne fait que reformuler la pensée de Paul de Tarse : « tout est créé pour lui » et « vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » (1 Cor 3, 23).
Le fait d’être au Christ nous exalte dans la mesure où nous venons à partager la grâce de la filiation et d’être aimé comme lui, du même amour, à cause de lui.
Donc, le Christ est le Primat, le premier-né d’entre les créatures en tant qu’Homme, non pas en tant que Verbe.
Duns Scot pose le Christ comme Roi, le principe de toute la création et sa cause finale, car tout est appelé à se récapituler en lui.
Cette primauté universelle du Christ est la pierre de touche de Paul de Tarse. Nous retrouvons cette filiation chez Duns Scot et chez Pierre Teilhard de Chardin, pour ne citer que ces trois.
Quand on lit les textes bibliques depuis une perspective catholique, on entend les Écritures d’une certaine façon. Si on les lit depuis une perspective des Églises réformées, ou depuis une perspective judaïque ou musulmane, on entendra chaque fois des choses différentes. Une Église est une façon d’écouter.
Je vais me contenter de tirer un fil à partir d’une écoute des textes du jour. Je vous laisse le soin de tirer les autres fils.
En entendant Ezéchiel nous rapporter que le Seigneur Dieu dit « voici que moi-même, je m’occuperai de mes brebis, etc. ». Le fait que le seigneur Dieu dise je vais me retrousser les manches en personne signifie qu’il prend la direction des opérations. Il peut le faire par délégation tout en gardant l’initiative. Néanmoins, nous pouvons entendre ce déplacement, cette proximité comme Incarnation. Un déplacement en personne, un déplacement au cœur de l’humanité ; c’est là toute la mission du Verbe.
Mais, jusqu’où peut aller ce déplacement ?
Jusqu’à être derrière le visage de chacun.
Voilà pourquoi il dit « j’avais faim et vous m’avez donné à manger ».
Il parle donc de lui-même, comme s’il était derrière ou dans le visage de l’affamé, de l’assoiffé, de l’étranger, du malade, du prisonnier qui était dans cette situation sans doute pour des raisons valables.
L’évolution culturelle poursuit son cours. La prise de conscience que nous devons traiter les êtres humains avec dignité, avec respect, que nous devons traiter les animaux et toute la nature avec humanité, c.-à-d. avec amour, depuis ma lecture, est un signe du déploiement ou de l’émergence de ce visage derrière toute la création.
Quand nous devenons sensibles à ce visage unique, alors cela signifie que notre processus de transformation a commencé pour ressembler à celui que nous apercevons. Alors, nous commençons notre transformation vers notre ultra humanisation.
Cette transformation fait une différence ; elle crée une différence aussi effective que la différenciation qu’opère le berger en séparant les agneaux des chevreaux. Par ailleurs, cette image s’arrête là, sur l’effectivité de la différenciation. Elle ne suggère pas que les agneaux seraient les bons et les chevreaux les mauvais.
Cette différenciation nous renseigne sur la portée de nos actes. En effet, en raison de la primauté du Christ, comme celui qui fait l’unité de l’humanité et de la création, nos actes atteignent Dieu lui-même.
En ce sens, celui qui visite un malade ou un prisonnier qui ne fait pas partie de sa famille ou de ses relations, ce n’est pas que de l’altruisme, même s’il n’en a pas conscience.
Son acte a une portée beaucoup plus grande et cela en vertu du rôle du Christ, même si cette personne de bonne volonté ne connaît pas le Christ personnellement.
À partir de là, chacun peut appartenir à une communauté de foi de sa naissance ou de sa culture. Mais l’important est ce que produit en lui cette écoute des Ecritures en termes de différenciation, d’humanisation et d’altruisme. Nous savons maintenant ce qu’il y a derrière l’altruisme.
Nous sommes donc tous appelés à faire paître le troupeau selon le droit, de manière juste, avec humanité. Notre manière d’être humain est le miroir du visage que nous apercevons ou pas dans le visage d’autrui et jusque dans la diversité de la création.
Roland Cazalis, compagnon jésuite (merci à l'auteur de l'image)
Ez 34, 11-12.15-17 ; Ps 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6 ; 1 Co 15, 20-26.28 ; Mt 25, 31-46