Le premier critère de la vie chrétienne réside dans l’humilité de la confiance ; le deuxième, dans la participation ecclésiale. Celui-ci entraîne un troisième critère : l’amour pour ce monde, selon la raison que l’Evangile de Jean donne de l’envoi du Fils par le Père (Jn 3, 16). Une expression paulinienne éclaire le rapport entre la vie en Eglise et l’amour des frères humains. Aux Galates, Paul écrit cette phrase étonnante : « Pratiquons le bien à l’égard de tous, principalement de nos frères dans la foi » (Ga 6, 10). Pourquoi cet adverbe « principalement » ? Bien loin d’indiquer une restriction d’une générosité exclusivement tournée vers l’intérieur de la communauté, il souligne que les relations entre frères constituent comme un lieu expérimental, un laboratoire de l’attitude à tenir envers les autres, à l’extérieur de la communauté. L’Eglise est ainsi envoyée au monde. Elle ne possède pas en elle-même sa propre finalité. Elle n’œuvre pas uniquement pour ses intérêts. Sa mission la déborde. Elle est comme le sacrement d’un monde réconcilié. […]
Bien que prise dans l’atmosphère d’un retour imminent du Christ, la première génération chrétienne est persuadée de la dimension universelle de son message. Elle n’envisage pas une conquête religieuse du monde - ce en quoi elle se distingue d’une secte -, mais elle croit qu’un monde nouveau vient d’apparaître : « Une terre nouvelle et ses cieux nouveaux » (Is 66, 22). L’Apocalypse développera cette espérance plus forte que les tribulations. […]
Le Christianisme ne se contente pas de façonner de belles âmes (expression ô combien grecque !). Il cherche à construire un monde nouveau. Ses efforts et ses engagements sociaux pour la justice et la paix, pour la dignité et l’égalité ne sont ni matière à option ni œuvres surérogatoires. Ils proviennent des exigences directes de la foi. Une spiritualité désincarnée cesse d’être évangélique. Son espérance la conduit à entrer dans l’histoire, avec des choix complexes, des solutions partielles et provisoires, avec les risques et les incertitudes de toute histoire humaine. Les chrétiens sont « dans ce monde » en genèse, sans être « du monde » (Jean 17, 14), comme le levain n’est pas du pain mais doit être pétri avec la pâte. […]
Mgr Albert Rouet, archevêque de Poitiers
Extraits de « La soif se fait chemin » dans Panorama hors série n°68 « Va vers la Source intérieure »
photo : merci Lydia pour la photo