Les textes du jour nous offrent trois images de la dualité sortie/retour à la vie.
La première évocation de sortie est la situation du peuple hébreu en exil à Babylone et l’anticipation du retour à la vie par la vision du prophète Ezéchiel.
Ezéchiel est transporté dans une vision dans laquelle le Seigneur évoque la sortie d’exil comme une ouverture des tombeaux du peuple pour le ramener à la terre d’Israël.
Ezéchiel a le gage que la vision se réalisera puisqu’il s’agit d’une parole de Dieu, une parole sur laquelle il peut s’appuyer pour entrevoir le futur.
La deuxième image de cette dualité est celle de Paul aux Romains. La sortie est signifiée par l’expression « être sous l’emprise de la chair » et le retour à la vie par « être sous la mouvance de l’Esprit ».
Nous connaissons bien la distinction que fait Paul dans ses diverses lettres entre le « corps » (σῶμα), la « chair » (σάρξ) et l’« esprit » (πνεῦμα).
Néanmoins, nous n’entrerons pas aujourd’hui dans ces considérations. En outre, notre psychologie n’est plus celle de l’époque de Paul.
Nous sommes des vivants, des êtres configurés dans un corps organique et c’est là toute notre noblesse.
Nous sommes un corps avec toutes ses dimensions cognitives, spirituelles et somatiques.
En outre, la résurrection du Christ nous montre que le corps est plus qu’il n’apparaît, en d’autres termes, nous sommes plus que notre apparence, devant Dieu. Il y a ce que j’appelle le corps fondamental, celui qui apparaît à la résurrection. D’où le respect que l’on doit à soi-même et aux autres.
Il faut donc cesser de polluer le corps avec un péché omnipotent et omniprésent.
Dans ce cas, nous dirions qu’être sous l’emprise de la chair aujourd’hui serait être sous l’emprise de vos instincts qui vous mettent en quête du pouvoir, de l’avoir et du paraître ; l’une des trois, deux ou les trois à la fois, en vue de vous seul et parfois de votre clan.
Cette quête distorsionne votre devenir humain, votre relation à vous-même, à autrui et à la vérité.
Paul suggère la charge négative de cette distorsion par l’expression « ne pas plaire à Dieu », car cette distorsion de la vie équivaut à l’état d’exil.
En conséquence, l’exhortation de Paul ne se situe pas sur un plan moral. Elle suggère plutôt que ce n’est pas le chemin de vie que Dieu veut pour l’homme.
On pourrait rétorquer que chaque être humain a le droit de se perdre. Par-là, il exercerait une forme de liberté, sans doute ignorante de la valeur, de la saveur et de la profondeur de la vie sous la mouvance de l’Esprit.
Donc, « ne pas plaire à Dieu » équivaudrait au sentiment de parents qui verraient leur enfant partir en vrille de son propre gré.
Cela ne les plairait pas, cela les chagrinerait, cela les ferait souffrir en vertu de leur sentiment pour leur enfant, et pour n’importe quel enfant qui serait dans cette situation.
Si des gens qui se perdent ne vous affectent pas, alors il faut vous demander si vos affects ne sont pas altérés.
La troisième image de la sortie/retour à la vie est signifiée dans le récit du retour à la vie de Lazare.
Le sentiment ou l’affection que l’on trouve dans la parole de Dieu à Ezéchiel pour son peuple, nous la retrouvons dans les paroles de Paul avec le verbe « plaire/ne pas plaire ». On retrouve cette affection singularisée dans les sentiments qu’exprime le Christ à cette famille en deuil.
Il est saisi d’émotion à l’émotion des autres protagonistes de la scène ; cela s’appelle l’empathie.
Il pleure même. Les témoins confessent « voyez comme il l’aimait ».
Le Christ vit l’instant présent de l’événement et ne court-circuite pas ses sentiments par des arguments d’événements futurs.
Il est présent aux gens qui sont présents ; il entre dans le présent des gens qui sont dans la douleur. C’est souvent dans le silence qu’on peut le faire, parfois en posant une main sur l’épaule de la personne affectée ou accablée.
Le Christ n’enjambe pas le moment d’affection, une fois arrivé sur les lieux où se trouve le corps de Lazare.
Le temps de l’affection n’est pas le dernier acte possible. Et nous avons l’appel de Lazare à retrouver la vie.
Lazare est revenu à la vie d’avant. La résurrection, au sens de celle du Christ, est autre chose, car elle suppose la transfiguration du corps physique ; elle suppose l’avènement du corps fondamental.
Il s’agit donc d’une entrée plus avant dans la vie, une entrée dans la plénitude de la vie. Ce n’est pas encore le cas de Lazare.
L’action en faveur de Lazare et de sa famille amène de nombreux juifs, témoins de la scène, à croire au Christ. Voilà donc la goutte qui fait déborder le vase, ou le dernier signe qui va déclencher la Passion.
En effet, le Sanhédrin formule sans ambiguïté les données du problème.
« Que faire ? Parce que cet homme fait de nombreux signes. Si nous le laissons faire ainsi, tous croiront en lui et les Romains viendront détruire et notre ville et notre nation ».
Les Romains ont bon dos. En tout cas, le ton est donné pour nous introduire à cette dernière semaine de carême.
Roland Cazalis, compagnon jésuite
Ez 37, 12-14 ; Ps 129 (130), 1-2, 3-4, 5-6ab, 7bc-8 ; Rm 8, 8-11 ; Jn 11, 1-45