Lc 20, 27.34-38 : En ce temps-là, quelques sadducéens – ceux qui soutiennent qu’il n’y a pas de résurrection – s’approchèrent de Jésus et l’interrogèrent. « Maître, Moïse nous a prescrit : Si un homme a un frère qui meurt en laissant une épouse mais pas d’enfant, il doit épouser la veuve pour susciter une descendance à son frère. Or, il y avait sept frères : le premier se maria et mourut sans enfant ; de même le deuxième, puis le troisième épousèrent la veuve, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d’enfants. Finalement la femme mourut aussi. Eh bien, à la résurrection, cette femme-là, duquel d’entre eux sera-t-elle l’épouse, puisque les sept l’ont eue pour épouse ? » Jésus leur répondit : « Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection. Que les morts ressuscitent, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui. »
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Cette scène est prise dans une série de controverses lors du séjour final de Jésus à Jérusalem : d’où Jésus tire-t-il son autorité ?, faut-il payer l’impôt à César ? Jésus y fait toujours preuve d’à-propos, de réparti. Mais plus que cela, il rétablit la vérité profonde et donne à chacun de pouvoir user justement de sa liberté dans le nouveau contexte de sens qu’il propose.
Bien des approches sont possibles pour en percevoir le sens (comme en attestent les trois commentaires de cette année, celui du Père Cazalis, celui de Mgr de Moulins Beaufort et celui-ci même que vous lisez). Voilà ce que je vous propose : essayer de percevoir les fondements des deux positions, celle des sadducéens et celle de Jésus. Nous verrons qu’en leur fond deux conceptions de la vie s’affrontent. Une conception qui considère que la vie est une ressource à devoir être entretenue, sinon il n’y a plus rien ou bien appréhender la vie comme une capacité indéfinie de relations qui trouve son sens dans le mouvement même. Bref une vision qui se recroqueville ou une vision de la vie qui se répand…
En français, nous avons un seul mot pour parler de la vie, comme bien des langues européennes, en revanche en Afrique, en Grèce plusieurs mots existent et permettent de distinguer différents aspects de la vie. Ainsi en grec, on distingue la vie bios, la vie psyché et la vie zoé. Cette approche linguistique qui distingue divers aspects peut nous aider à recevoir les diverses dimensions de la vie qui s’affronte sous le seul vocable de « vie » en français.
Selon les grecs, la première a besoin d’être entretenue, nourrie, la deuxième exprime cette tendance de la vie à resplendir quel que soit la situation, une fleur essaiera ainsi d’être la plus belle, un petit garçon essaiera, quant à lui, de réussir au mieux ce qu’il entreprend et pour cela répétera longtemps le même geste, et la vie c’est enfin ce qui relie les êtres, qui leur insuffle un dynamisme commun, c’est la vie des êtres, de tous les êtres, la vie de Dieu…
Avec cet arrière fond de sens, appuyé sur ce que la langue grecque nous dit, nous voyons que les sadducéens voient la vie comme devant être maintenue seulement. On rajoute les hommes les uns après les autres pour que la génération s’opère et en dehors de cela il y a rien, si ce n’est une extinction avec la mort de la femme. En revanche lorsque Jésus répond, sa conception de la vie, sans s’opposer à ce premier aspect, est bien plus large. La vie est cette capacité de relations qui ne cesse de se répandre, ces relations qui se transmettent, et le principe d’immortalité se comprend à partir de la notion de relations… une relation commence mais ne se termine pas, une relation peut en engendrer d’autres…
Et ne pouvons-nous pas au-delà de toute croyance constater dans notre propre existence que la vie est véritablement porteuse de cette dimension des relations qui s’enrichissent les unes les autres. Il suffit d’un exemple vécu et reçu pour élargir notre conception de la vie. Pour ma part, je garde au cœur un couple de maraichers que j’ai connu à Nantes Denise et René. Ils ont su très tôt qu’ils ne pourraient pas avoir d’enfants. Alors ils ont fait le choix d’accueillir chez eux des adolescents pour leurs études. Les années passant c’est un nombre impressionnant de personnes accueillis, aidés, accompagnés. Et lors de leur cinquante de mariage, c’est plus de trente anciens qui étaient là avec toute leur famille pour célébrer des personnes qui avaient été pour eux : un père, une mère. La vie est relation, la vie certes fragile peut aussi se relier, et je puis faire alors l’expérience que la vie en moi vient de plus loin que moi, qu’elle est mystère qui m’enveloppe. Cela m’ouvre à la possibilité de la résurrection…
P. Jean-Luc Fabre, compagnon jésuite
2 M 7, 1-2.9-14 ; Ps 16 (17), 1ab.3ab, 5-6, 8.15 ; 2 Th 2, 16 – 3, 5 ; Lc 20, 27-38