« Tu aimeras le Seigneur et tu aimeras ton prochain comme toi-même ». De ces deux commandements « découlent » toute la loi et l’enseignement des prophètes.
La Loi découle de l’amour et nous en ramène sans cesse, puisque c’est la source.
On voit donc la perversion qui s’est glissée quand la Loi a été travestie en instrument pour condamner et mettre à mort.
Le livre de l’Exode déploie la loi de l’amour dans des faits concrets.
Il dit par exemple, si tu prêtes de l’argent à un membre du peuple, ce sera sans lui imposer d’intérêts. C’est très concret. C’est loin de la logique du monde de la finance et la dérive des prêts à haut risque (subprimes). On s’était bien égaré !
Autre cas : si tu prends en gage le manteau de ton prochain, tu le lui rendras avant le coucher du soleil. C’est très concret ! S’il te donne son manteau en gage, alors c’est qu’il n’a plus rien. Il faudra le lui rendre, sans contrepartie, cela s’entend.
Autre cas, tu n’exploiteras pas l’immigré. Voilà qui est encore très concert !
Quand on lit ces passages, la question est la suivante: qu’est-ce que cela me fait ?
Est-ce que quelque chose en moi acquiesce, ou alors, est-ce que quelque chose en moi désapprouve ce que dit le texte ?
En effet, le texte est un miroir qui me permet de savoir où j’en suis de la loi d’amour.
Autrement dit, la Loi est le miroir de ce que nous sommes dans le fond, un miroir de ce que nous sommes de manière originaire.
En d’autres termes, ce n’est pas à force d’observer la loi, à force de la pratiquer que nous finirons par nous améliorer, que nous finirons par devenir de bonnes personnes.
Non, en tant que miroir, la Loi est là pour nous rappeler, pour nous apprendre qui nous sommes, et par là, parvenir à aimer notre nature humaine.
C’est là que s’opère le basculement fondamental. Ce basculement se poursuit et engendre l’amour du genre humain, puis l’amour des créatures et de la création. Il s’agit là d’un mouvement sans retour, il s’agit d’un mouvement d’ouverture au monde de la vie qui sera sans retour.
Voilà le type d’ordonnancement qu’engendre le basculement qu’est l’acquiescement à soi.
Remarquez qu’il est dit : « tu aimerais le prochain comme toi-même ».
On voit bien que c’est le « comme soi-même » qui est la métrique, car il vient en premier.
On voit bien que c’est l’amour pour l’humanité qui nous rend patients avec les autres, et nous met en situation de comprendre la longue patience de Dieu.
Quand il est dit d’aimer soi-même, on ne fait pas référence au narcissique ni à l’égocentrique, car on ne peut pas s’aimer soi-même, tout seul. Le narcissique et l’égocentrique n’aiment personne, et ne s’aiment pas non plus.
L’amour de soi passe nécessairement par une médiation ; il passe par un autre, il passe par Dieu. Nous sommes ainsi faits.
Pourquoi aimer Dieu ? Au moins, en aimant Dieu, on parvient à aimer soi-même et ainsi, on acquiert la métrique juste.
Voilà ce que recherchait le psalmiste. Il dit « comment, jeune, garder droit son chemin ? » Il répond à la question sous forme d’un témoignage aux gens de sa génération en disant « en observant ta parole ».
Le psalmiste dit ailleurs, « heureux est l’homme qui ne va pas au conseil des méchants, etc., mais se plaît dans la loi du Seigneur ». C’est la même idée.
Nous nous rappelons la question du jeune homme riche, « que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » C’est toujours la même question.
Il y a encore la question du docteur de la Loi, « quel est le premier des commandements ? » C’est toujours la même idée.
Néanmoins, sa question est théorique ; or, la vie n’est pas de la théorie, voilà pourquoi Jésus répond par une parabole mettant en scène des réalités bien concrètes, avec le bon samaritain.
Alors que des gens très bien, des honnêtes gens, comme on dit - par exemple un lévite-, changent de trottoir quand ils voient un homme allongé par terre après avoir été agressé par des bandits, le samaritain, lui, s’en occupe, parce que c’est un être humain qui est à terre.
Il n’y a pas de motif plus noble ni plus élevé pour s’arrêter que le fait d’être un être humain.
La classe sociale, l’ethnie, la nationalité, etc. ne sont que des vêtements. Cela n’ajoute rien à ce que vous êtes. En revanche, dire oui à ce que vous êtes fait une différence ! Parvenir à dire oui à ce que vous êtes, voilà tout l’objet de la Loi.
Alors Jésus dit au docteur de la Loi, en prenant exemple sur le bon samaritain, « va, fais de même ! » Ne te contente pas de connaître le texte de la Loi, ce serait te faire illusion.
Mais, si tu agis comme le samaritain, ne le fais pas par obligation. Le geste du bon samaritain doit devenir spontané chez toi, parce que tu reconnais en cet homme blessé sur le trottoir, un autre toi-même.
Si c’est le cas, alors cela signifie que tu as basculé dans le monde de Dieu, et Dieu peut désormais compter sur toi, car il a un allié de plus sur la terre pour manifester sa compassion.
La question de la métrique juste traverse l’histoire de l’humanité, et traverse l’histoire de chacun.
Nous l’avons entendu dans les psaumes, dans l’évangile, chez le docteur de la loi.
Que dois-je faire pour bien faire ? Et que puis-je espérer en bien faisant ? C’est la formulation de Kant.
Que faut-il faire pour bien vivre ?
Que faut-il faire pour bien être ?
Quel est le chemin qui mène à la vie ?
Qui donc aime la vie et désire voir des jours heureux ? (PS 34)
C’est toujours la même question à la recherche de la métrique juste.
Jésus répond en ces termes, si un jour tu te rends compte que n’importe qui devient ton prochain, alors, sache que tu es entré dans le monde de la vie avec sa vastité originelle.
Roland Cazalis