Mt 22, 34-40
En ce temps-là, Les pharisiens, apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent, et l’un d’entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »
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De ces quelques péricopes, pouvons-nous glaner quelques nourritures pour notre quête personnelle : peut-être entrer dans l’intelligence de la manière de Jésus qui ne cesse de conjoindre les choses, de les mettre ensemble, en recevoir aussi un principe de vérification pour nos propres manières d’agir.
Le contexte. A ce moment de son arrivée à Jérusalem, Jésus ne cesse de répondre aux polémiques suscitées par ses multiples opposants. Il y a ainsi celle sur l’impôt à rendre à César avec la pièce de monnaie et son effigie, celle de la femme aux sept maris au sujet de la résurrection des morts à laquelle Jésus répond en parlant du cœur de la foi juive en rappelant l’affirmation de Dieu : « Moi, je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob ? » et en concluant : « Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. ». A chaque fois, Jésus répond avec bonheur et justesse. Il marque des points dans l’échange puisqu’il arrive à fermer la bouche de ses opposants et, par-là, plus profondément, il ouvre aussi chacun d’eux à la vérité. Mais donner un accès personnel à la vérité lui donne tout autant de tisser une réelle entente avec ceux qui s’opposent à lui, comme ici, avec les pharisiens. Jésus, en toute occasion, est à la recherche d’une vérité pleine pour ses interlocuteurs, celle qui met les personnes, quelles qu’elles soient, en recherche personnelle de la vérité et en ouverture envers lui.
Aucune séduction pourtant. Car Jésus le fait en respectant aussi la vérité des faits. Ce qu’il dit se révèle, dans la durée, consistant, solide, fiable. A partir de ce qu’il dit, nous pouvons élaborer nos propres jugements. Cette simple phrase émise par Jésus : « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » aura ainsi un impact phénoménal sur l’organisation de nos sociétés européennes puis mondiales, distinguer le pouvoir religieux du pouvoir politique pour les relier justement dans l’élaboration d’une société de liberté.
Ainsi, au cœur de ces polémiques, Jésus nous révèle que la vérité plénière réside tout à la fois dans l’exactitude des faits et dans la capacité à mettre ensemble, à rassembler les personnes. Comme un écho du psaume 84 « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s'embrassent ; la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice ». Jésus tient tout à la fois le pôle de la vérité des relations et celui de la vérité des faits.
Et c’est bien dans cette même double attitude que Jésus répond aujourd’hui à la question du pharisien : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? ». Jésus lui répond fermement et clairement : Voilà le grand, le premier commandement, c’est-à-dire « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ». Puis, il élargit encore sa réponse Et le second lui est semblable. Le premier donc, mais aussi le second c’est-à-dire « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », Jésus rajoute encore De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes… alors Jésus ne considère pas que la Loi, comme le demandait le pharisien, mais aussi les prophètes, pas que Dieu mais aussi son prochain et soi-même, pas que les principes mais aussi les situations et le devenir de mon histoire, de notre histoire… Dans la réflexion sur notre agir, Jésus ne cesse d’introduire, de réintroduire la complexité du réel, la tension inhérente qui le traverse entre le pôle de détermination (l’exactitude des faits) et le pôle symbolique, celui de l’engagement vers la liberté des personnes. Ainsi, Jésus maintient au cœur de notre réflexion la nécessité de l’ouverture, de l’inquiétude de la liberté qui s’incarne, se risque et, par-là, devient. Aucun automatisme dans sa manière de faire, de voir, de dire... à la fois, une vision large et une attention à la situation concrète.
Alors à l’aide de cette clé, je puis peut-être considérer mes propres prises de décision : est-ce que je maintiens, dans les réponses auxquelles j’aboutis, une tension dynamique entre mon être présent et ma promesse de vie, entre le contexte relationnel dans lequel je prends corps et les principes à appliquer, est-ce que dans la réponse que j’apporte à mes questions, je respecte cette complexité et accepte de laisser vivre les tensions de ma vie ou bien est-ce que j’écrase les choses, est-ce que je les force ?
Marie nous est un exemple. Marie, elle a répondu ainsi à l’invitation de l’ange : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » réponse de la personne en son être et ses relations : « la servante du Seigneur » ouverture au devenir au fil des situations : « que tout m’advienne », fidélité à ce qui a été échangé au début : « selon ta parole ». Et l’ange alors la quitta. Il ne s’agit plus pour Marie, que de vivre, dans le même mouvement, avec son Dieu ainsi qu’avec tous les autres êtres humains qui lui sont donnés de rencontrer : Jésus, Joseph, Elisabeth, Zacharie, les bergers, les mages, Syméon, Anne, et beaucoup d’autres, en leur donnant et en recevant d’eux… Qu’il en soit de même pour nous comme nous le redit à sa manière la demande de grâce de la Contemplation pour obtenir l’amour : « Demander ce que je désire. Ce sera, ici, demander une connaissance intérieure de tout le bien reçu, pour que moi, pleinement reconnaissant, je puisse en tout aimer et servir sa divine Majesté. » Nous en sommes, grâce à Jésus, capables, n’en doutons pas. Amen !
Jean-Luc Fabre, compagnon jésuite