Nous fêtons aujourd’hui la sainteté telle qu’elle est vécue de l’intérieur, à savoir, l’esprit des béatitudes ou l’amitié avec Dieu. La sainteté telle qu’on la voit chez les autres, au sens public du terme, tel que le témoignage de fidélité de chrétiens qui préfèrent subir la percussion et la mort plutôt que de se renier. Voilà le thème du texte de l’Apocalypse.
Le livre de l’Apocalypse est un univers un peu crypté ; il est difficile d’en profiter si l’on ignore ses tenants et aboutissants. Le contexte est celui de la persécution des chrétiens par les Romains au 1 er siècle. Quant aux Béatitudes, elles se terminent par les persécutions. Nous voilà prévenus.
L’auteur, Jean de Patmos, - pour le différentier de Jean l’évangéliste -, se réfère aux persécutions sous Néron en 64 à Rome, en réponse à l’incendie de la ville.
Néanmoins, le contexte de l’écriture du récit est celui de Dioclétien, dans les années 90, qui fit peser sur les chrétiens de l’époque tout le poids de son pouvoir.
L’apocalypse nous dit que nous ne pouvons pas comprendre le sens de l’histoire de l’humanité en général et celle des chrétiens en particulier, si nous ne fixons pas le regard sur le Christ vainqueur de la mort, car c’est lui la pierre angulaire de l’histoire.
Nous ne pouvons pas comprendre, car le livre du monde ou le livre céleste est fermé par sept sceaux. Le Christ vainqueur est le seul capable d’ouvrir le livre céleste.
En ouvrant les quatre premiers sceaux, l’Agneau révèle les malheurs qui vont s’abattre sur l’Empire romain. Il faut avoir en mémoire les dix plaies d’Égypte pour comprendre la logique du récit.
Il y a l’invasion des Parthes, le grand ennemi oriental des Romains, la guerre, la famine et les épidémies.
Le cinquième sceau montre les âmes des chrétiens martyrisés à cause de leur fidélité au Christ. Ces âmes réclament justice, mais on leur demande de patienter ; on leur donne des robes blanches, pour attendre d’autres persécutés qui doivent les rejoindre.
Le sixième sceau révèle le chaos, comme les séismes, les bouleversements célestes, engloutissant des îles et des montagnes, ce qui va affecter les puissants. Ils vont comprendre, à l’instar des Égyptiens, que la venue de l’Agneau est inéluctable et que la justice est en marche.
Mais avant que cela n’arrive, une précaution est prise (le début du texte du jour) les serviteurs de Dieu sont marqués au front, à l’instar du linteau des tentes des Hébreux en terre d’Égypte, pour échapper au châtiment.
Le message qui fait référence à l’histoire passée est aussi un message aux chrétiens d’aujourd’hui, qui peuvent se sentir stigmatisés à cause de leur refus de l’idolâtrie contemporaine, qu’elle soit économique, culturelle, politique ou autre.
Là, il ne s’agit pas d’être complaisant à l’esprit de l’époque pour être comme tout le monde. Il ne s’agit pas non plus de tomber dans un rigorisme passéiste. Il faut se demander en quoi consiste aujourd’hui la fidélité à l’Agneau immolé et comment vivre en communauté ecclésiale maintenant que nous sommes invités à la synodalité.
En quoi consiste la fidélité ? En quoi consiste la sainteté ? Ces questions nous ramènent aux béatitudes.
En fait, une seule béatitude suffit, la première, car elle est la porte étroite pour entrer dans les autres.
Ici, je me réfère au texte syriaque avec ses sémitismes qui résistent à la traduction littérale.
Le texte grec, rendu en français dit : « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux »
Le texte syriaque peut être rendu en français par : « Ils ont le Bien, les dépouillés dans l’Esprit, car ils ont le Royaume du Ciel ».
Le Bien, c’est Dieu. Avoir Dieu comme bien, voilà une figure du bonheur ; voilà une figure de la sainteté.
Les pauvres dans l’Esprit, les dépouillés dans l’Esprit, sont ceux qui sont vides de volonté propre dans l’Esprit.
En fait, ceux-là n’ont que l’Esprit de Dieu comme bien. Ils sont donc emportés par l’Esprit pour entrer dans le Royaume du Ciel. En effet, c’est là que l’Esprit les emmène, car ils sont vides de tout égotisme.
Voilà une porte d’entrée.
La sainteté commence et s’achève dans l’ouverture à l’Esprit de Dieu, car c’est l’Esprit qui est le discernement, la lumière, le chemin, la consolation dans les épreuves.
Fêter les saints nous rappelle notre vocation à la sainteté, à la vie bonne, à la vie ordinaire comme vita beata.
Roland Cazalis, compagnon jésuite