En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des boucs : il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche.
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : ‘Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !’
Alors les justes lui répondront : ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu...? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison... Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?’ Et le Roi leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.’
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : ‘Allez-vous en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.’
Alors ils répondront, eux aussi : ‘Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?’ Il leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.’
Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »
En toute période de nos existences, le début et la fin sont des moments importants, qui appellent des prises de paroles signifiantes. Nous pouvons penser notamment aux mariages et aux funérailles. Grâce à la parole qui est prononcée, se joue l’épaisseur humaine de ce qui va se vivre ou de ce qui s’est vécu. L’être humain devient lui-même par les paroles qu’il prononce. Aujourd’hui, nous avons la chance d’être à un changement de période, au terme d’une année liturgique, d’un cycle liturgique. Pour saisir l’enjeu rampant de nos vies, il y a à honorer notre quête de l’année et à la remettre au Seigneur pour qu’elle s’accomplisse. Les trois strophes du tropaire du Christ Roi de l’Univers disaient à leur manière notre état et notre enjeu :
• Nous sommes pris dans un travail d’enfantement, dans une naissance
• Nous sommes dans l’attente d’une vraie nouveauté
• Nous apprenons à cheminer de plus en plus dans la foi au Seigneur Jésus
Et pour cette année 2023, l’Evangile retenu pointe une porte d’accès pour poursuivre ce chemin, découvrons-la, et ensuite ouvrons-la. Est mis en scène, par Jésus, ce moment où le Fils de l’homme juge les hommes de tous les temps. Toutes les nations seront rassemblées devant lui. Cela projette le lecteur ou l’auditeur de l’Evangile au terme de l’histoire, ce moment où il ne pourra plus rien pour son propre sort, il ne pourra que subir. Par contrecoup, cela appelle chacun de nous à être plus vigilant à son aujourd’hui, c’est-à-dire pour nous, à cette durée offerte où nous pouvons agir dont nous prenons conscience à ce changement d’année… Mais la vigilance humaine ne peut être tout horizon, dans une quête d’absolue perfection, elle doit se spécifier, s’ordonner sinon elle s’épuise et ne produit rien.
Alors par rapport à quoi devons-nous être tout spécialement vigilants ? Par où commencer, recommencer en nos vies agitées ? Ce qui est dit plusieurs fois est souvent important. Alors réentendons ce qui a été proclamé deux fois : « j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ». Voilà le point. Ce qui nous rend vraiment humain et qui, dès lors, nous donne de pouvoir avancer dans la vie en vérité, au-delà du simple maintien du fonctionnement extérieur de l’image de nous-même ou de la société dont nous rêvons, c’est la mise en œuvre concrète de l’attention portée à l’autre, à celui qui est dans le besoin. Alors le vrai travail d’enfantement s’entreprend, la vraie ouverture à la nouveauté s’opère, la foi au Seigneur s’incarne… Cette attention s’exprime, à vrai dire, dans un simple mot, celui de « pitié » comme jadis pour le bon samaritain qui a eu pitié de l’homme abandonné sur le chemin, comme au début de nos célébrations où nous demandons au Seigneur de prendre soin de nous, de nous considérer « Prends pitié de nous Seigneur ».
Si je prends pitié de l’autre, alors, par-là, je change moi-même, j’entre dans la vie plus grande, celle du Fils, la vie qu’il partage avec tous ses frères et toutes ses sœurs. Cette année qui se termine aura été, au bout du compte, riche essentiellement de la pitié donnée et reçue. Sachons quitter ces vies qui se rêvent d’être sans aléas, retrouvons, avec l’incertitude qui croit en notre monde, ce qui donnait son sens aux existences du temps jadis. Réentendons dans cette perspective le poème de piété filiale rédigé par Victor Hugo envers son père « ce héros au sourire si doux ». Il est un appel puissant à la pitié, comme une réminiscence exacerbée du bon samaritain, une aide sur notre chemin aujourd’hui : C’était un Espagnol de l’armée en déroute
Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu’à moitié.
Et qui disait : « A boire ! à boire par pitié ! »
Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et il dit : « Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. »
Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l’homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu’il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant: « Caramba! »
Le coup passa si près que le chapeau tomba
Et que le cheval fit un écart en arrière.
« Donne-lui tout de même à boire », dit mon père(i) .
Comme le père de Victor Hugo, sachons prendre pitié de l’autre, de notre frère en toute situation, car Jésus a pris pitié de nous. Et notre frère nous ouvrira le chemin de la vie. Oui, il est notre porte de la Vie !
Annexes
Amour qui nous attends
Amour qui nous attends
au terme de l'histoire,
ton Royaume s'ébauche à l'ombre de la croix ;
déjà sa lumière
traverse nos vies.
Jésus, Seigneur,
hâte le temps.
Reviens, achève ton œuvre !
Quand verrons-nous ta gloire transformer l'univers ?