Jadis, il y a eu en Galilée le « oui, je te suis » du premier appel qui a mis les premiers disciples en mouvement et puis, bien plus douloureux, à Jérusalem, il y a eu le « non », « non, je ne me réduis pas à ma trahison, pardonne moi Seigneur ». Ce « non » qu’ils ont pu, chacun des disciples, prononcer par eux-mêmes, en s’assumant, dans la relation renouvelante au Christ Ressuscité, lui qui les maintenait, pendant tout ce temps, dans l’espérance et dans l’être, en demeurant longuement et plein de bienveillance auprès d’eux. Cela a été le long travail de ce début du temps pascal auquel la liturgie nous offre, année après année, de nous inclure.
Aujourd’hui, tout bascule. Cette parole du Christ peut se dire et être reçue : « Proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création » Nous vivons de la parole, de la recevoir, de la transmettre. Et elle s’est révélée comme notre alpha et notre oméga dans le cheminement avec Jésus, en son humanité... Elle est ce qui nous rend véritablement humains. Un envoi peut avoir lieu, aujourd’hui, parce que les apôtres ont été formés. Ils sont arrivés à un stade d’évolution de leur identité en relation avec le Seigneur où ils peuvent reprendre la mission du Seigneur, en son Nom. Le Seigneur peut, quant à lui, se retirer et se positionner autrement... Une suite pleine, en leur nom aussi, Mathias va les rejoindre, s’ouvre à eux, une suite, également, pour le monde entier, pour l’histoire de l’humanité entière...
Le Seigneur se retire. Les disciples restent comme seuls, car ils peuvent assumer pleinement leur mission à partir de ce qu’ils ont vécu et reçu. La consistance acquise dans la traversée assumée avec le Seigneur de leur abandon, de leur échec, leur donnera de rencontrer l’autre homme pleinement, respectueusement, à leur juste place... Ils peuvent « proclamer la Bonne Nouvelle à toute la création ». La mort et la peur qui va avec, ne sont plus, pour eux, des fatalités. Une Bonté s’est manifestée comme présente auprès de chacun, active, bienveillante et discrète, parce qu’ils ont parcouru tout ce qu’ils avaient à parcourir pour être en vraie et pleine relation avec le Seigneur. A travers la Mort et la Résurrection du Seigneur ils ont accédé au pardon, à la liberté véritable, à la capacité de parler pleinement en leur nom propre et donc de parler justement pour un autre... de le révéler... d’offrir à chacun de le rencontrer... Pour le dire en termes ignatiens : si l’homme est bien créé pour louer, révérer et servir Dieu notre Seigneur, alors, aujourd’hui, le temps de l’être avec du service, puis celui de la juste place de la révérence sont accomplis, le temps de la libre louange peut s’ouvrir
« Ils parleront un langage nouveau » Ils savent le critère du devenir vraiment « disciple », c’est celui qu’ils ont acquis au cours de ces semaines après Pâques. Parler vraiment, dans un langage nouveau. Un langage qui va au-delà du discours héroïque et factice de celui qui veut être parfait, qui ne recherche que le « oui » de la perfection. Leur langage prend sa source aussi dans le « non » traversé qui rend pauvres, humbles et extraordinairement libres, capables de relation... capables de connaître Dieu, Lui qui se laisse pleinement rencontrer par les pauvres en esprit... Une consistance est là en eux pour aller vers autrui, comme lui Jésus, le Fils, n’a cessé de le faire... Ce que nous avons reçu, voilà ce que nous avons à transmettre : pas une théorie, mais une posture dans l’être, reçue de la relation à un autre mais produite aussi par ma liberté, posture qui rend l’autre rencontré, capable, comme moi-même je le suis, de se référer à cette commune origine. Un mouvement qui peut gagner, dès lors, la terre entière, la transformer ainsi de fond en comble...
Un chemin, plein de patience, s’ouvre aux disciples. Ce chemin ne progressera qu’au changement du cœur de l’autre, changement qui naît de la Parole annoncée, qui naît de la liberté souveraine de l’autre, qui naît aussi de la Présence active du Seigneur à leur côté, changement qui naît en fait de la coaction merveilleuse des trois... C’est un travail en commun, c’est l’œuvre de Dieu... Une rencontre entre hommes qui ouvre chacun... qui offre de revenir, ensemble, à l’Origine... Te révéler... « Aider les âmes » : c’est donner accès en parlant pour que l’autre puisse s’adresser lui aussi à Dieu... et parler à d’autres... Rien de plus que cela...
« Le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l'accompagnaient » Dans cette toute nouvelle figure de la relation qui se met en place, chacun trouve une nouvelle place. Dieu est présent mais sa manifestation devient encore plus modeste. Elle nous reconduit à notre ancien quotidien... Mais maintenant nous pouvons le reconnaître, lui Dieu, en tout, dans l’air que je respire, l’eau que je bois, la chanson que j’entends, le sourire de l’ami... Il est là, présent à mon existence, à l’existence des autres... Il confirme ce que nous entreprenons, il nous appelle aussi parfois. Nous sommes en dialogue... un dialogue qui peut prendre la forme d’un profond silence, comme pour ce vieux paysan dans l’Eglise d’Ars et qui répondait au Curé qui lui demandait ce qu’il faisait ainsi... « Je l’avise et il m’avise »
Jean-Luc Fabre, compagnon jésuite