/image%2F0931903%2F20220126%2Fob_f86658_aveugles.jpg)
Jésus est sur son chemin de vie et de là il entraine ses frères humains vers le Royaume. Il doit maintenant à ce moment de son parcours faire face au risque que rencontre toute réussite : celui d’être imitée, mal imitée par d’autres. C’est en effet une imitation extérieure, une copie frelatée, qui ne prend pas en compte notamment la réalité vraie de la situation. Aussi, ici, Jésus morigène ses interlocuteurs en les traitant d’hypocrites. Découvrons la promesse de vie qui demeure sous les critiques et mises en garde de Jésus.
« Mais une fois bien formé ». Chacun de nous est habité par un désir de perfection de bien faire les choses, et par le succès se donner la sensation d’être « plus ». Cela nous conduit souvent à vouloir reprendre l’autre pour l’aider à s’améliorer lui aussi. Mais, sous ce mode altruiste, se cachent en fait bien souvent une volonté de puissance, une jalousie envers l’autre, une étroitesse de considération de la situation, ainsi que des jugements hâtifs et cinglants. Cela n’est pas le bon chemin, celui de la vie qui se donne. Jésus est très clair sur ce point. Oui il y a la possibilité de progresser pour l’autre, pour quiconque, mais la vraie approche pour aider l’autre demande de commencer d’abord par s’aider soi-même, de progresser sur son propre chemin. Ce progrès pour l’autre passe donc en premier lieu par ma propre transformation intérieure. De cette expérience primitive et transformante, vécue, la personne voulant aider pourra en effet adresser à l’autre une parole ajustée, l’aidant vraiment à progresser. Elle pourra davantage le rejoindre là où il est et lui proposer une démarche qui le mettra lui-même en chemin sur sa propre route. Elle sera alors envers lui comme l’aura été jadis son propre maître : bon et vraiment aidant, plein de bienveillance et de patience.
« Enlève d’abord la poutre de ton œil ». La première étape consiste donc à partir de soi. Il s’agit même de se centrer sur soi, chercher son propre chemin de progression. Entrer dans cette première transformation personnelle. Et là, nous pouvons nous dire que le Seigneur nous parle d’expérience. Jésus est sans péché certes, mais le temps au désert où il a subi les diverses tentations lui a donné une connaissance intérieure de lui-même, lui a donné de percevoir encore plus finement tout ce qu’il peut y avoir de faussé en l’homme, à partir de sa propre vulnérabilité. Il en va de même pour nous. Aucune de nos paroles tournée vers l’extérieur ne peut avoir un poids véritable si elle ne s’origine pas dans une expérience intérieure, sur une transformation vécue par soi-même. Sinon, nous ne parlons que sur des ouï-dire et non à partir d’une pratique vécue. Notre parole risque alors de flotter et de précipiter l’autre comme nous-même dans la chute comme lorsqu’un aveugle entraine un autre aveugle dans sa propre chute. Mais entrer dans ce chemin d’humilité, risque de nous précipiter dans une autre ornière : nous conduire à nous déprécier nous-mêmes. Et là encore, le Seigneur nous donne un horizon de vie pour tous, dans une promesse personnelle adressée à chacun.
« Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit » chacun de nous, nous avons un chemin propre et unique, celui promis depuis notre création, celui inclus dans notre appel à l’existence. Un chemin qui donne à chacun de nous de pouvoir produire les fruits qui vont aider aux cheminements des autres vers le Royaume. C’est le travail que chacun a à entreprendre pour aller vers son plus de vie et donner alors aux autres d’avancer sur leur propre chemin. Laissons retentir en chacun de nous cette parole créatrice spécifique qui nous ouvre un chemin unique, le nôtre. Prenons notre propre chemin, sans vouloir imiter le chemin de l’autre, sans non plus vouloir imposer le nôtre. Allons à la suite du Christ Jésus, selon notre propre route, en cheminant de conserve avec nos frères.
Remarque la « poutre » et la « paille » dans l’« œil ». On ne comprend pas une telle opposition entre la paille et la poutre, si l’on ne sait pas que l’œil, c’était, à l’époque de Jésus, le nom de l’orifice de la citerne où était conservée l’eau si précieuse en ce pays chaud et sec. Là, la poutre était un morceau de bois affleurant à la surface permettant au petit mammifère tombé dans la citerne par son trou, l’œil, de pouvoir s’en échapper. Ainsi l’eau n’était pas polluée par un animal mort ce qui la rendait impropre à la consommation. La paille évoquait, quant à elle, la présence de végétaux risquant d’altérer seulement le goût de l’eau mais ne présentait pas de risque pour la santé de ceux qui la consommeraient. L’état de la poutre importait bien plus que la paille.
Jean-Luc Fabre, compagnon jésuite