Jardinier de Dieu

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Pourquoi ce nom ? Un de nos jésuites va vous répondre


6 novembre - Vous et l'argent à disposition

Publié par Jean-Luc Fabre, compagnon jésuite sur 6 Novembre 2021, 12:34pm

Catégories : #Evangile_réflexion, #evangiles_piste_reflexion

Lc 16, 9-15

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles. Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande. Si vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ? Et si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance, ce qui vous revient, qui vous le donnera ? Aucun domestique ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. »

Quand ils entendaient tout cela, les pharisiens, eux qui aimaient l’argent, tournaient Jésus en dérision. Il leur dit alors : « Vous, vous êtes de ceux qui se font passer pour justes aux yeux des gens, mais Dieu connaît vos cœurs ; en effet, ce qui est prestigieux pour les gens est une chose abominable aux yeux de Dieu. »

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Cet évangile fait suite à la scène de l’intendant malhonnête qui est loué par son maitre ou par le maître Jésus... Ici, dans les versets suivants, Luc donne des pistes à chacun de nous pour nous mieux connaître personnellement, chose si nécessaire pour quiconque désire répondre à l’appel à la conversion qu’il reçoit, un appel qui retentit plusieurs fois dans sa vie et toujours pour un davantage.

Alors, au cours de cette eucharistie, laissons simplement résonner en nous cette phrase « Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête ». Il y a là matière à une orientation de vie.

Le philosophe et sociologue allemand Georg Simmel dans sa « philosophie de l’argent » en 1900, son maître ouvrage, a présenté l’argent comme le moyen absolu. Pourquoi cela ? L’argent dispose de cette capacité a priori infinie de se transformer en tout autre moyen : en matière, en machine, en homme requis, en relation, en renommée, etc... Il est donc le moyen universel. Et c’est vrai que la fluidité et la plasticité de l’argent, ces dernières décennies notamment, a permis d’apporter de la ressource en des endroits improbables et de déclencher un très grand développement économique aidant à la vie de beaucoup. Oui l’argent est un moyen matériel extrêmement puissant.

Mais ce n’est pas son seul effet ! Par cet effet de puissance comme outil d’action, l’argent nous donne, comme une loupe grossissante, de percevoir la manière dont chacun de nous nous comportons intérieurement en nos situations de vie, en relation avec les autres hommes. A travers lui et notre manière propre de nous y rapporter, vont pouvoir s’exprimer ou notre désir de puissance qui s’impose aux autres libertés, ou notre souci de sécurité qui nous retire des relations avec les autres, rendus inutiles, ou notre appétit de jouissance qui nous enfonce dans la perception infrahumaine du sensible.

Et là, je ne puis m’empêcher de vous raconter une anecdote personnelle. Lorsque ma mère a annoncé au curé de la paroisse que j’allais entrer chez les jésuites en 1983, le Père Thirion a répondu : « à la vie religieuse, rien à soi, tout à souhait ». Au-delà du jeu de mots amusant, je perçois bien combien cette vie religieuse peut être un lieu de sécurité, de retrait du risque. Il y aura toujours quelqu’un qui me prendra en charge… et je sens pour moi par moment ce piège.

L’argent révèle ainsi notre manière de nous maintenir dans l’infra-humain, en sombrant dans la pure jouissance enfermée sur elle-même, en réduisant l’autre homme à un simple moyen, en s’évitant le risque de vivre à nu dans la situation.

Le chemin de notre humanisation est, quant à lui, bien connu et depuis longtemps. Depuis le commencement de la Genèse. Génèse 2 nous le dit : nous devenons humains en émergeant de la dimension matérielle et mystérieuse de notre être tout en continuant à y émarger, dans une sobriété heureuse, en nous risquant dans l’activité et la collaboration qu’elle implique ainsi que l’appel personnel qu’elle porte, en entrant enfin dans une pleine reconnaissance de l’autre dont le chiffre est la rencontre amoureuse, lorsque je m’écris : « voilà l’os de mes os, la chair de ma chair ». Et bien d’autres situations que la relation amoureuse, peuvent en être le lieu.

L’argent se révèle donc aussi être un moyen spirituel puissant, la manière dont nous en usons nous révèle notre propre chemin de conversion. Il s’agit de calmer en nous prioritairement ou la puissance, ou la jouissance, ou la fermeture sur soi pour rencontrer véritablement l’autre comme un frère, une sœur.

L’argent est donc malhonnête en ce sens qu’il peut être bien ou mal utilisé. « Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête ». A nous de tisser les relations avec nos frères et nos sœurs avec cet argent pour partager notre dimension corporelle, notre travail en commun, notre vivre ensemble… nous ne pouvons pas être dans notre vocation sans une relation étroite avec nos frères et nos sœurs.

Et alors comment ne pas trouver un écho rafraichissant et réconfortant dans les salutations de la lettre de saint Paul aux Romains. L’Eglise en son surgissement avait l’attitude fraternelle, chevillée au corps et à l’âme. Les croyants se faisaient amis dans le Seigneur en partageant leurs biens, en assumant le risque de l’autre, en célébrant ensemble. Que ces bourgeons puissent éclore à nouveau entre nous les croyants de ce temps lorsque reviendra le printemps de l’Eglise après cet hiver douloureux que nous traversons.

« Mes Frères, mes sœurs, saluez de ma part Prisca et Aquilas, (faut-il le dire un couple) mes compagnons de travail en Jésus Christ, eux qui ont risqué leur tête pour me sauver la vie ; je ne suis d’ailleurs pas seul à leur être reconnaissant, toutes les Églises des nations le sont aussi. (Rm 16,3-4) » Amen !

Jean-Luc Fabre, compagnon jésuite

 

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