Luc 14, 1.7-14
Un jour de sabbat, Jésus était entré dans la maison d’un chef des pharisiens pour y prendre son repas, et ces derniers l’observaient. Jésus dit une parabole aux invités lorsqu’il remarqua comment ils choisissaient les premières places, et il leur dit : « Quand quelqu’un t’invite à des noces, ne va pas t’installer à la première place, de peur qu’il ait invité un autre plus considéré que toi. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendra te dire : ‘Cède-lui ta place’ ; et, à ce moment, tu iras, plein de honte, prendre la dernière place. Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : ‘Mon ami, avance plus haut’, et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui seront à la table avec toi. En effet, quiconque s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. » Jésus disait aussi à celui qui l’avait invité : « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi te rendraient l’invitation et ce serait pour toi un don en retour. Au contraire, quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont rien à te donner en retour : cela te sera rendu à la résurrection des justes. »
**************************
Cette homélie est sponsorisée par zoé, j’espère que vous ne serez pas gênés…
Jésus est un observateur né mais il ne fait pas que ça. Son attention envers les autres ne devient jamais une critique intérieure envers les autres mais l’occasion d’une prise de parole en situation pour aider la vie à avancer chez les gens qu’il apostrophe…
Nombreuses sont les occasions pour lui de mettre en œuvre cette séquence « observation-parole » : pensons à la veuve et l’obole qu’elle remet au trésor du temple au terme des polémiques que Jésus a dû affronter à Jérusalem les dernières semaines avant sa Passion, l’occasion pour Jésus d’annoncer combien l’attitude intérieure compte. Pensons encore à ses nombreuses paraboles qui sont le fruit d’observations passées ou présentes le plus souvent de la vie rurale ou de la nature. Et aujourd’hui nous voyons Jésus déployer son geste d’observation et prise de parole ici dans un repas qui lui est offert. Nous y gagnons en fait un petit traité sur ce qu’il convient de vivre durant un repas, puisque Jésus va considérer les deux positions : celle de celui qui est invité et celle de celui qui invite.
Nous percevons d’abord que le repas est un lieu important de reconnaissance sociale dans sa culture… Certes au cours des siècles la situation sociale de reconnaissance évoluera avec, par exemple, les processions au Moyen Age où l’enjeu consistait à être le plus proche du président de la procession, vers la queue de la procession, puis au 17iéme siècle ce sera le théâtre, ce qui permettra de mettre au même rang de reconnaissance sociale des gens différents, répondant à la diversification de la société. Aujourd’hui… je ne sais pas les lieux où nous nous classons… mais ces lieux existent et la question qu’aborde Jésus demeure pour nous d’une réelle pertinence…
Alors comment traite-t-il cette question au-delà de sa simple perception ? Je dirai une fois sur le ton de l’humour, puis une autre fois bien plus sérieusement. L’humour nous aide à forcer le trait, et à prendre ainsi conscience de l’enjeu. On voit mal, en effet, un homme se mettre au dernier rang puis se voir inviter à remonter la file ainsi. Jésus met en scène une flatterie de l’ego qui nous aide à percevoir comment nous éprouvons le désir d’être reconnu, d’exister par la position que nous occupons. Lui Jésus, un jour, prendra la dernière place mais il y risquera sa vie et c’est une autre histoire.
Une question encore. Dans cette mascarade, l’acteur visé par Jésus ne serait-il pas en fait celui qui invite. Après tout, c’est lui qui classe, qui hiérarchise, qui fait monter et descendre, qui fait agir le moteur de la reconnaissance sociale dont il est la première victime, parce qu’il espère la reconnaissance en retour, parce qu’il voit le monde sous ce seul angle. Il est perdu dans le calcul, n’existant plus que par son extérieur dont il espère la reconnaissance…
Au terme de son intervention, Jésus porte l’estocade finale à son ego en lui proposant d’inviter ceux qui ne peuvent rien lui rendre. « Au contraire, quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont rien à te donner en retour ». Si nous faisons ainsi, nous nous inscrivons dans un rapport social, existentiel, tout autre, un rapport de gratuité, sans attente aucune, nous n’invitons que pour rencontrer, donner du bonheur, recevoir du bonheur gratuitement, nous vivons du simple plaisir de la rencontre. Et là, il nous est donné d’éprouver cette joie de la simple vie partagée. Nous découvrons alors qu’il y a au-delà ou en deçà de nos calculs, une réalité qui ne cesse de se donner gratuitement, qui nous fait véritablement vivre, nous découvrons la vie en plénitude, la Zoé, la vie éternelle, la vie de Dieu, la vie qui relie tous les êtres, la vie qui fait vivre tous les êtres… Jésus ne nous ouvre pas vraiment à ce qui est important, mais à ce qui est essentiel… Sachons recevoir de lui cette bonne nouvelle, il y va de notre vrai bonheur, de notre vie véritable.
Jean-Luc Fabre, compagnon jésuite