S’il fallait retenir un texte pour célébrer cette fête, alors il faudrait retenir l’hymne de Saint Paul à l’Église de Colosses
La ville de Colosses en Asie Mineure se trouvait à quelque deux cents kilomètres à l'est d'Éphèse.
Au temps de l'apôtre Paul, Colosses n'est plus la ville importante qu’elle a été. Un terrible tremblement de terre, au début des années 60, détruit Colosses et Laodicée.
Laodicée a réussi à se relever de ses ruines. Colosses, pour sa part, n'en est jamais parvenue.
Paul n’y est jamais allé.
Alors, il semble qu’il y eut un début d’hérésie à Colosses. L’absence d’un apôtre lors de la fondation de cette Eglise pour enseigner la vérité y est sans doute pour quelque chose, et le fondateur de cette Eglise ne semble pas en mesure de rectifier le tir, d’où la lettre de Paul et sa profondeur doctrinale.
L’erreur ou l’hétérodoxie sévissait non seulement à Colosses, mais aussi dans les autres villes de la même vallée.
La nature de la dérive n’est pas clairement cernée. Les spécialistes évoquent un syncrétisme mêlant un reste de judaïsme ayant incorporé des éléments gnostiques et mystiques grecs, des éléments païens, de l’ascétisme, autrement dit le salut par la connaissance ou les privations, etc. Bien sûr, le Christ a sa place, mais il n’est pas le seul dans ce paysage.
Donc, dans cette lettre, il faut garder en arrière-fond, l’objectif de la lettre, et pas seulement un traité théologique pour encourager l’Église de colosses.
Paradoxalement, ce n’est pas cet arrière-fond qui nous intéresse aujourd’hui, mais plutôt la profession de foi de Paul qui parle du Christ de manière incomparable.
Puisque nous célébrons le Christ, roi de l’univers, la royauté n’est pas un en-soi. Pour que cette figure ait du sens, il faut qu’il y ait des hommes et des femmes d’aujourd’hui ayant l’autorité suffisante pour l’incarner.
Les monarques dignes de foi en ce moment viennent tout juste de prendre leur fonction ; il faut leur laisser le temps d’exercer leur fond, afin qu’ils donnent à cette institution un visage qui attire le regard.
Il y a la reine d’Angleterre, mais elle a toujours existé !...
En réalité, nous n’avons pas de figure contemporaine issue de cette institution qui pourrait servir de métaphore pour nous faire saisir nouvellement la royauté du Christ.
Il y a le pape, mais c’est plutôt le modèle républicain, puisqu’il est élu, par de grands électeurs, mais élu quand même.
C’est Paul qui va nous faire saisir ce qu’est la royauté du Christ.
Paul célèbre dans son hymne le mystère de Dieu et le mystère de la création, et pas seulement celui du monde. Ces mystères sont interreliés.
On pourrait se demander, d’où lui vient ce savoir ou cette sagesse .
Je ne sais pas si un autre apôtre a reçu une telle grâce.
Bien entendu, on pourrait étudier l’hymne, en faire une exégèse.
Néanmoins, c’est surtout en contemplant cet écrit, en laissant illuminer son esprit par ce que disent ces paroles que l’on tire le plus de profit.
Et pour ce faire, il faut séjourner dans ces paroles.
Il faut les entendre comme on regarde un beau paysage, quand on se laisse happer par ce que l’on regarde, quand on se retrouve comme en suspension dans le paysage.
Le texte est destiné à l’entendement, voilà pourquoi ces paroles illuminent l’esprit.
Paul nous explique que dans le mystère de Dieu, il y a un sens giratoire.
Il écrit entre autres :
« Il est l’image du Dieu invisible ».
Ici, nous avons une image que nous pouvons voir, une image qui n’éblouit pas.
Si on est ébloui, on est obligé de fermer les yeux. On ne voit plus rien.
Il écrit encore :
« Tout est créé par lui et pour lui ».
« Créé par lui » - on a bien ici l’égalité dans l’acte de création.
« Créé pour lui » - il ne crée pas pour lui-même ; donc, ce « pour lui » vient d’un autre.
Il crée, mais c’est comme s’il recevait ce « tout ».
Il crée, et en même temps, il reçoit. Voilà le sens giratoire.
Il écrit encore :
« Dieu a jugé bon qu’habite en lui toute plénitude ».
Là aussi, c’est un dû, mais c’est aussi un don.
En lui, tout être trouve la réconciliation. Voilà l’expérience que fait l’un des co-crucifiés.
Alors, on ne sait pas si les deux brigands sont des compagnons de brigandages. En tout cas, l’un reconnaît en ce crucifié, ce que Paul célèbre dans sa lettre aux Colossiens.
Paul soumet aux Colossiens une figure de la beauté en la personne du Christ. Et chacun doit faire un choix entre le potage syncrétiste que les promoteurs influents essaient de faire boire à tout le monde et la figure du Christ qu’il célèbre.
Nous avons au fond de nous un principe esthétique qui nous amène à choisir le beau, à nous tourner vers le beau et à nous détourner du laid, quand nous sommes normalement structurés.
Le beau, c’est la justice, le salut, le pardon, la vie à la suite du Christ, etc.
Point n’est besoin d’exercer de contrainte. D’ailleurs, on ne peut pas contraindre le cœur.
Voilà le choix que fait librement l’un des condamnés.
La royauté du Christ s’est fait jour pour lui. Il a vu la sainteté de cet homme sur son visage, même de crucifié.
Alors, il dit au Christ, « emmène-moi : prends-moi avec toi ».
Et le Christ lui répond : « oui ».
Roland Cazalis, compagnon jésuite
2 S 5, 1-3 ; Ps 121 (122), 1-2, 3-4, 5-6 ; Col 1, 12-20 ; Lc 23, 35-43