La première sensation qui nous parvient en lisant le texte de Luc est l’attente du peuple.
Avec peu de mots, Luc nous la fait sentir, il nous fait percevoir cette tension de l’attente.
De quoi est faite cette attente ? Certainement de beaucoup de choses mêlées et pas seulement sur le plan strictement spirituel.
D’ailleurs, il n’y a que nous à faire ce genre de séparation entre spirituel et temporel, alors que l’existence est une. Quand un aspect vient à manquer, les autres en sont affectés. Néanmoins, les autres aspects contribuent également à rétablir l’équilibre.
Si l’on veut alimenter son imaginaire, on peut penser à l’attente des gilets jaunes, car c’est une situation proche d’ici.
Souvent, on entend dire des commentateurs que l’on n’arrive pas à saisir vraiment ce qu’ils veulent, car on sent bien que l’attente réelle est composite et qu’elle est plus profonde, plus fondamentale qui est objectivement exprimé.
On peut aussi penser à l’attente des peuples congolais. Je ne suis pas spécialiste pour la saisir et pour en parler.
Jean le baptiste doit percevoir la teneur de l’attente du peuple, car il est l’un d’eux et il est prophète, c.-à-d. un homme habité avec puissance par l’Esprit qui lui donne la compréhension des choses.
Jésus fait partie de cette foule, il a aussi ses attentes qu’il partage avec le peuple. Mais il a aussi une attente qui va rejoindre celle de la foule. Elle s’exprimera un peu plus tard dans son parcours.
Le baptême de conversion que propose Jean suppose aussi une conversion de l’attente, c.-à-d. la conversion de ce que la foule exprime de plus explicite.
En quoi consistera cette conversion de l’attente ?
Eh bien, c’est Jésus lui-même qui pilotera cette conversion. Et Jean l’annonce d’emblée.
En effet, il ne suffira pas de remplacer l’empereur romain, via son représentant, à la tête d’Israël par un roi juif, bien sous tous les rapports, pour que la vie refleurisse à sa vitesse maximale, si ceux qui dirigent vraiment ne se convertissent pas et restent ce qu’ils sont devenus avec le temps, c.-à-d. des tyrans et des bandits.
Nous verrons la profondeur qu’atteint l’invitation à la conversion à la suite du Christ.
Mais pour l’heure, Jésus est un anonyme dans la foule. Personne ne le connaît, sauf Jean.
La deuxième information qui attire le regard, c’est ce mouvement qu’il fait, à savoir, descendre dans l’eau pour être baptisé par Jean.
C’est à peine si Luc mentionne l’événement, tant le geste se fond dans le paysage.
Ce n’est pas un geste d’humilité de sa part. Il ne faut pas gaspiller sa capacité d’humilité en faisant du cinéma devant les autres !
Le geste est le temps zéro, le top-départ de la phase active de sa mission.
Il le fait en se remettant entre les mains de Jean, car c’est Jean qui est le baptiste.
C’est ainsi que les choses fonctionnent dans le monde des Hommes. Se remettre ainsi dans les mains d’un autre, plus petit que soi, nous évite d’être victimes de notre propre fantaisie, pour ne pas dire de nos fantasmes de toute-puissance.
Au temps zéro, quelqu’un doit te dire de la part de Dieu : va ! Et tu sais à cet instant de quoi il s’agit.
Par le baptême, c’est comme si Jean lui disait : va! Non pas comme exhortation, mais comme confirmation.
Car, bien entendu, la mission ne vient pas de Jean. La mission précède et dépasse Jean. Et Jean le dit : je ne suis pas digne de faire cela. Si Jean ne l’est pas, personne ne l’est !
Ceux qui viennent d’eux-mêmes et ont conscience de n’avoir aucun d’une confirmation de leur vocation par la bouche d’un envoyé de Dieu, ceux-là sont dangereux pour eux-mêmes et pour les autres.
Pour inaperçu que passe ce baptême de Jésus, car c’est un baptisé de plus ce jour-là, ce geste de Jésus n’est pas banal comme engagement.
Tout ce qu’il a vécu auparavant lui permet de poser ce geste à ce moment-là, comme décision de se lancer dans un chemin, sachant où cela allait l’amener.
Là où nous mènera effectivement une décision de cette ampleur, reste une fiction du futur, car ce n’est qu’en étant dans le présent de l’événement que nous nous en rendons compte.
Pour souligner encore l’importance de cette décision, de cette entrée dans l’eau, c’est comme la décision de monter à Jérusalem pour la dernière fois. Tous les événements vécus auparavant ont préparé la prise de décision, c.-à-d. ce jour-là, à se mettre debout, et à prendre résolument le chemin vers Jérusalem.
Il y a la voix qui acquiesce à la décision de Jésus, ce top-départ de la mission.
Les choses de Dieu se font dans le cœur, même devant les autres, mais l’engagement est confirmé par la manière dont il soutient et fait vivre dans la vérité celui qui s’est engagé de la sorte.
J’ai reçu, il y a quelque temps, la lettre d’une dame qui a été baptisée dans la paroisse il y a quelques années.
Elle signifie par ce courrier manuscrit la renonciation à sa promesse de baptême et me demande de la notifier sur le registre.
Voilà encore une décision lourde, et pareillement, c’est ce qu’elle a vécu auparavant qui lui a permis de poser cet acte, un geste important pour elle-même, qui fait partie du ‘prendre soin de soi’.
Voilà, en fait, son vrai baptême !
père Roland Cazalis