Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 4,1-11.
Jésus, après son baptême, fut conduit au désert par l'Esprit pour être tenté par le démon. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s'approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Mais Jésus répondit : « Il est écrit : Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Alors le démon l'emmène à la ville sainte, à Jérusalem, le place au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. » Le démon l'emmène encore sur une très haute montagne et lui fait voir tous les royaumes du monde avec leur gloire. Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m'adorer. » Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! Car il est écrit : C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c'est lui seul que tu adoreras. » Alors le démon le quitte. Voici que des anges s'approchèrent de lui, et ils le servaient.
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris
Pour (bien) vivre, l’être humain doit trouver à concilier intérieur et extérieur, apprendre à articuler justement le « donner » et le « recevoir » en toutes ses dimensions existentielles : individuelle, familiale, sociale, politique, professionnelle, personnelle… Il en est ainsi notamment pour l’homme individuel, avec ce qui le constitue de prime abord, avec ses racines et avec ses ailes. Il se doit de rechercher un échange équilibré à ce double niveau. Les racines, c’est tout ce qui nous conforte dans l’être, nous sécurise, ce à partir de quoi nous prenons substance (nourriture, culture, appartenance, la terre et son humus…). Les ailes, c’est tout ce qui nous pousse à devenir nous-mêmes, à avancer, à innover (valeur, mission, appel, rencontre, le ciel avec ses nuages et ses vents). L’être humain est ce mélange indissociablement, de nécessité et d’appel, d’action et de passivité. D’où la fascinante beauté, la grande fragilité de tout homme…
« Jésus fut conduit au désert ». Jésus, en assumant pleinement son humanité pour lui-même, nous introduit au chemin de vie. La manière dont Jésus a mené son existence est d’un prix absolument unique pour le croyant. Là se trouve, pour l’homme de foi, la lumière véritable. Aujourd’hui, en ce premier dimanche de Carême, nous pouvons découvrir dans cette scène de la tentation comment Jésus mène le combat spirituel pour demeurer fidèle à la pleine humanité en lui sur le plan individuel. Le combat pour chacun, quelque soit sa situation, passe d’abord par l’équilibre de l’échange individuel (intérieur/extérieur) avant toute autre dimension qu’elle soit familiale, communautaire, sociale, professionnelle, politique, personnelle… La manière dont Jésus mène le combat nous fait découvrir, par contre coup, la tactique habituelle de l’ « ennemi de la nature humaine » qui cherche d’abord à s’insinuer dans nos fragilités.
« Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim ». Un des lieux de fragilité pour l’homme est qu’il n’est jamais assuré pleinement de sa nourriture, nécessaire à sa subsistance. La question qui se pose à chacun est de savoir « comment trouver cette assurance ? » : en prenant ou en recevant ? Jésus répond en mettant en perspective, cette autre dimension de son être humain qui le constitue, qui nous constitue aussi, celle des ailes qui font exister. « L'homme doit vivre de toute parole qui sort de la bouche de Dieu », le lieu de sa véritable assurance. Aussitôt, percevant Jésus assuré dans son être malgré la fragilité de sa subsistance, le Diable rebondit sur la réponse de Jésus. « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ». Lorsque l’être humain est assuré dans son être, émerge en lui le désir d’exister, d’exprimer ce qu’il porte en lui, d’honorer ce qui fait sens pour lui. Victor Frankl l’a bien établi (1). La question de savoir comment assurer l’expression de son identité offre deux voies de réponse : en imposant l’image intérieure de son identité ou en la recevant de la relation avec autrui ? Pour Jésus, aucune mise à l’épreuve [ou forçage] de l’extérieur pour conforter la perception intérieure mais la confiance que ce qui est éprouvée intérieurement sera conforté extérieurement par Dieu en son temps.
Alors le Diable, après avoir attaqué les racines puis les ailes, fait un saut quantitatif dans ses offres, saut qui signe une déraison. Il s’agit maintenant de pas moins que tous les royaumes de la terre… Devant cet excès criant, Jésus dénonce celui qui se manifeste : « Arrière Satan » et proclame : « C'est le Seigneur Dieu, lui seul que tu adoreras ». Tout redevient alors normal, sain, en relation, les anges servent Jésus. Intérieur et extérieur communiquent dans la paix. L’humble serviteur n’a pas dérogé à son appel, il a été patient, son droit a subsisté ; le Satan, quant à lui, s’est montré et s’est effondré, sans impact, vide, insignifiant… La louange peut se répandre sur la Terre comme au Ciel.
(1) Victor E. Frankl Découvrir un sens à sa vie, Ed. de l'Homme, Trad. Clifford J. Bacon et Louise Drolet, 1988
Source de photo http://canaille-le-rouge.over-blog.com/article-solidarite-grece-bande-de-salaud-49724225.html