« Mieux vaut de respirer que de cueillir les roses, écrivait Fernand Gregh. Et les plus beaux jardins sont ceux où l’on n’entre pas. » Pas de jardin sans gardien ! L’espace non
plus n’est pas dépourvu de règlements, ni de lois ; il est même assujetti à un droit, élaboré pour l’essentiel au cours des années 1960 et 1970, à une époque où les activités spatiales
relevaient du quasi-monopole de deux grandes puissances, les Etats-Unis d’Amérique et l’Union soviétique. L’un de ses principes est celui de la liberté d’exploration et d’utilisation de l’espace,
dans les limites de la non-appropriation, de la coopération internationale et de la prohibition de certaines activités (comme l’usage d’armes nucléaires). Ainsi, même si le statut de l’espace
oscille entre celui de patrimoine commun de l’humanité (ce qui appartient à tout le monde et doit, par conséquent, être utilisé avec le souci de l’intérêt commun et de garantir à chacun sa part)
et celui de res communis (ce qui n’appartient à personne et se trouve, dès lors, accessible et utilisable par tous), sans qu’il soit apparemment possible de trancher d’un point de vue juridique,
les Etats semblent vouloir mettre l’espace à part, au regard de l’humanité entière, et non de quelques puissances privilégiées. Lequel des deux statuts convient-il d’appliquer à l’espace ?
Les traités de l’espace usent jusqu’à présent des deux statuts sans qu’aucune homogénéisation ait encore été réalisée.
Mais l’éthique des jardins de l’espace doit aller au-delà des traités internationaux. Elle doit s’interroger sur le sens, la finalité et l’opportunité de la présence humaine au-delà de l’atmosphère terrestre : qu’est-ce que l’homme pour prétendre s’engager dans des territoires si différents, si nouveaux qu’il n’y a pas naturellement sa place ? A-t-il vraiment les moyens et la raison de rêver à la conquête de planètes autre que la sienne ? Ne ferait-il pas mieux de s’en tenir à habiter le moins mal possible cette Terre ? Quel respect de l’espace extra-terrestre est-il capable de s’imposer ? Faut-il sanctuariser les planètes comme Mars ? A mieux y regarder, le thème des jardins de l’espace, aussi extra-terrestre, extrême ou exotique qu’il puisse paraître, n’évite pas les questions les plus courantes que pose désormais l’éthique de l’environnement terrestre. Est-ce là un aller-retour inutile ? Rien de moins sûr : c’est en allant sur la Lune que l’humanité s’est rendu compte non seulement de la beauté, mais aussi de la fragilité de la Terre. C’est peut-être en rêvant de jardins de l’espace que l’humanité apprendra le sens de la vieille sentence mise par Voltaire sur les lèvres de Candide : « cela est bien dit, mais il faut cultiver notre jardin »
Agnès RICROCH
Jacques ARNOULD o.p.
in Les jardins de l'espace.
Etudes, avril 2004, p.p.497-498