D’ordinaire, la famille bénit le repas, ceux qui l’ont préparé, ceux qui vont en profiter, et exprime une pensée pour ceux qui n’ont pas la chance de pouvoir manger à leur faim.
Inévitablement, un jour, l’un des enfants s’interrogea, peu après la bénédiction, en commençant par une affirmation…
« Ça sert à rien de bénir, dit le jeune garçon.
– Ah, pourquoi, reprit la mère ?
– Parce ça ne change rien après, que l’on ait béni ou que l’on n’ait rien fait
– Sais-tu ce que signifie le verbe bénir ?
– Non
– Ça signifie ‘dire du bien’ » répondit, toute guillerette, la petite sœur que l’on surnomme parfois Encyclopedia
« Oui, c’est bien ce que je dis, ça ne sert à rien de bénir. Qu’est-ce que ça change de dire du bien ?
– Souviens-toi de la période, l’année dernière, durant laquelle plusieurs élèves se moquaient de toi et de tes différences. N’en étais-tu pas profondément blessé ? Tu étais si accablé par toutes ces méchancetés que nous n’avions rien trouver de mieux que d’en parler longuement et de prier ensemble, avec le psaume 68 qui exprimait à Dieu un peu de ce que tu ressentais. Eh bien, qu’est-ce qui t’a blessé ainsi ? Des paroles.
– Oui, mais ce n’est pas pareil.
– Oui, ce n’est pas pareil. Tout ce qu’on a dit à ton sujet, c’est maudire. »
« Ça signifie ‘dire du mal’ », interrompit Encyclopedia ;
« Tout à fait. Il y a une autre différence : les mauvaises paroles, quand on les reçoit, blessent plus ou moins profondément et à l’instant même. Ensuite, elles peuvent laisser des cicatrices longues à résorber, surtout si elles sont répétées. Au contraire, les bonnes paroles, les bénédictions, on les reçoit comme si de rien n’était : parfois elle nous touche sensiblement, mais, le plus souvent, elle nous font un effet insensible.
– Donc elles ne servent à rien.
– Si. C’est comme un massif de belles fleurs : on l’arrose au goutte-à-goutte. C’est insensible, et pourtant, avec la terre et le soleil, c’est indispensable à sa croissance et à son épanouissement. Et, une malédiction, c’est comme un coup de canif qui, s’il est mal placé ou répété, fait que les fleurs poussent de travers ou balafrée, voire meurent.
– Mouai…
V†G
Illustration : La Création d'Adam par Michel-Ange, 1508 à 1512, Chapelle Sixtine au Vatican