Dimanche 31 mars – dimanche de Laetare « Réjouissez-vous »
« Réjouissez-vous avec Jérusalem. »
Se réjouir en Dieu, c’est le thème du psaume, et il faut avoir des raisons de le faire.
Le psaume ne nous invite pas à nous réjouir dans le vide, mais à évoquer les raisons pour lesquelles nous avons envie de dire « magnifiez avec moi le Seigneur ».
Cette invitation à la réjouissance fait l’effet d’une pause dans le temps de Carême, la pause comme quand nous faisons des exercices spirituels, puisque le carême est un exercice spirituel qui dure un gros mois.
Et il est nécessaire de faire des pauses, tous les dimanches nous en faisons, et nous marquons même la mi-temps par la Mi-Carême qui s’est célébrée jeudi dernier, le 28.
Il y a une réjouissance à se nourrir des fruits de son travail, comme c’est le cas dans la première lecture, car depuis l’arrivée du peuple en terre de Canaan, c’est la première fois qu’ils peuvent récolter ce qu’ils ont semé. Donc le miracle de la manne peut cesser.
Voilà un clin d’œil sur la valeur de ce que nous faisons, et la consolation qu’il procure quand il porte du fruit.
Alors, le Christ propose une parabole, un récit très puissant, qui a de la ressource. Et c’est Paul qui va en faire la théologie.
Normalement, il ne faut pas expliquer une parabole. En effet, il ne faut pas succomber à la tentation de l’analytique, car ce n’est pas ainsi que la parabole fonctionne.
Il faut simplement l’écouter et laisser la parabole faire son œuvre en nous, car elle entre par les interstices de chacun, selon la configuration de chacun.
Et quand la parabole s’adresse à nous, alors nous oublions les scribes et les pharisiens à qui ce récit est adressé, car ils sont scandalisés par l’attitude de Jésus envers les publicains et les pécheurs, à l’instar du « fils aîné ».
Paul nous dit donc que nous sommes appelés à nous réconcilier avec Dieu, à nous tourner vers lui, néanmoins, c’est lui qui fait le gros travail de cette réconciliation.
C’est comme s’il redisait aux pharisiens, à la fois la reconnaissance de ce qu’ils sont, l’effort qu’ils font pour vivre en croyants respectueux de la Loi, mais que leur relation avec Dieu est ambiguë, un peu comme celle du « fils aîné » avec son Père.
Et ce sont les frasques du « plus jeune » qui vont mettre en évidence cette ambiguïté, comme le provoque l’attitude de Jésus envers les publicains et les pécheurs.
La jalousie est toujours révélatrice d’une discordance quelque part, de quelque chose qui est en porte à faux en nous.
Le Père dit « ton frère » en parlant du « plus jeune », tandis que le « fils aîné » dit « ton fils » en parlant de son frère au Père, comme s’il n’était plus « un fils », mais l’un des ouvriers de son père.
Ce « mon fils » a poussé les frères de Joseph à le vendre à des chameliers, pour ne plus entendre cette expression qui fait si mal aux oreilles.
La formulation de Paul est très complète : « au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu ».
« Au nom du Christ ».
Voilà l’invitation qui est faite au pharisien-fils-aîné, de quitter son quant-à-soi pour venir se réjouir là où ça se passe, de se laisser réconcilier avec le Père, car si le « fils aîné » n’est pas allé en voyage, très loin de la maison, il est probablement plus éloigné du Père que ne l’était « le plus jeune » dans son pays lointain, dans des réjouissances qui n’en étaient pas.
Des réjouissances qui révèlent leur vacuité par ce qu’elles induisent : le besoin, la faim, envier la nourriture des cochons. Il a fait l’expérience et il en est revenu.
Le Père ne porte aucun jugement sur son attitude. La seule qui importe, c’est qu’il sait maintenant en quelle configuration se trouve le monde de la vie.
Le Christ ne porte pas de jugement sur les publicains et les pécheurs ni sur la femme dite adultère. Il les invite au monde de la vie, « va, désormais ne pèche plus ».
Bien entendu, c’est une invitation adressée à tous à vivre vraiment, à vivre la vérité, vivre de la vie que Dieu veut nous donner. Attention, ce n’est pas de la morale, mais de l’existentiel.
Cette vie passe par la réconciliation avec soi-même, c.-à-d., de sortir de l’ambiguïté du « fils aîné » ou des phantasmes du « plus jeune », par la maturation humaine qui nous mène à la réconciliation avec nous-mêmes par celle avec Dieu.
Le philosophe protestant Paul Ricœur dit que « le plus court chemin de soi à soi passe par autrui ».
Voilà pourquoi la réconciliation avec soi-même et avec Dieu se fait dans un même mouvement. C’est lui l’Autre qui permet à cette réconciliation d’advenir.
Oui, vivre dans la vérité avec soi-même, par celle avec Dieu, engendre la réjouissance, celle à laquelle nous invite le psaume, celle qui nous permet de dire « magnifiez avec moi le Seigneur ».
Mais il est temps d’oublier l’analytique, les scribes et les pharisiens pour entendre la parabole dans sa fraîcheur et sa spontanéité.
Père Roland Cazalis
Jos 5, 9a.10-12 ; Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7 ; 2 Co 5, 17-21 ; Lc 15, 1-3.11-32
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