Le décor sobre et même austère parfois devant l’autel signifie le temps de carême, une période qui est symboliquement un temps de désert.
Le désert est visuellement marqué par la symétrie. Tout y est à peu près pareil, du sable, des cailloux, de la glace ou même la haute mer.
Il n’y a rien à voir ou à peu près, sauf des mirages, des fantômes, dont il ne faut pas donner plus d’importance que ce qu’ils sont en réalité. Le désert devient dès lors un temps ou un lieu pour écouter.
Écouter la parole qui se dit en nous, écouter ce qu’elle nous dit, car la parole peut être très ténue, voilà pourquoi il faut prêter l’oreille.
D’autres événements peuvent avoir le même effet, et nous plonger, durant un temps, dans une phase d’écoute. Écouter pour comprendre ; écouter pour intégrer et pour suivre sa marche.
Ce genre d’écoute nous aide à mettre de l’ordre, nous aide au réordonnancement des choses, à notre propre réordonnancement.
C’est le sens de l’invitation plus que pressante que le Christ fait aux protagonistes devant le temple, afin que cet espace retrouve sa sérénité et sa fonction première, à savoir, le lieu de la rencontre.
Nous sommes des êtres parlants, nous ne faisons pas qu’émettre des signaux comme les autres animaux et les plantes.
Nous nous construisons avec la parole ; elle nous forme.
Dieu même se présente comme la parole, ou celui qui parle, celui qui dit ‘Je’. Un Je qui se décline en différents conseils ou commandements. Le texte de la genèse met en scène cette déclinaison.
Il y a l’avènement d’une parole qui va former un peuple à partir d’un ramassis de gens, donc une parole qui va donner forme à un peuple et à laquelle le peuple est invité à donner forme. C’est la logique de l’élection/alliance, comme les deux faces d’une même réalité.
La parole est confiée au peuple afin qu’il puisse la porter tandis que la parole forme le peuple, le fait sortir de son statut de ramassis de gens et de leur culte polythéiste de la religion civique qui était la manière de comprendre la réalité dans les cultures les plus avancées de l’époque.
La parole amène le peuple à une autre forme de relation qui personnalise, qui révèle aux êtres humains leur dignité et leur noblesse.
Néanmoins, il y a un possible revers. En effet, une fois que le peuple est engagé dans ce genre de processus, dans cette logique, si le peuple abandonne la parole ou se détourner de la parole, alors le peuple risque de se défaire, de se fragmenter, c.-à-d. de revenir à l’état initial de puzzle de clans.
Ce qui est valable pour le peuple l’est pour chaque individu qui se confronte à la parole.
Avec l’avènement du Christ, l’accent est mis sur la Rencontre qui est l’autre face de l’Incarnation.
La parole poursuit donc son chemin et son action créatrice et chacun est amené à devenir ce qu’il doit être, un temple vivant, un corps de parole, un corps devenu vivant par la parole qui l’habite désormais.
Père Roland Cazalis
Exode 20,1-17., Psaume 19(18),8.9.10.11., 1Corinthiens 1,22-25., Jean 2,13-25.