Le récit du sacrifice d’Abraham ou d’Isaac a une grande importance dans les trois religions du livre.
Chez les chrétiens, on magnifie la foi d’Abraham qui est le Père dans la foi. On se souvient de la phrase révélatrice à cet homme de foi « va dans le pays que je te montrerai ». Abraham se mit en marche vers un futur géographique et existentiel, sans une claire vision de ce futur.
Dans le texte du jour, il s’agit de « la montagne que je t’indiquerai ».
S’offrir est une chose ; offrir son fils en est une autre. Ce n’est pas seulement en raison de la promesse qui est remise en question, mais à cause de la valeur du fils. Voilà précisément la raison de la demande.
En réalité, c’est cela la foi : croire en quelqu’un, mais quelqu’un qui est digne de foi.
Nous le savons, la foi est essentielle dans la vie humaine, car nos relations structurantes avec autrui sont fondées dans ce lien particulier.
Je m’engage avec telle personne, parce que je crois en lui, qu’il s’agisse du voisin, du collègue ou du conjoint.
Même pour acheter un article en ligne, il faut avoir confiance dans la société et la page web qui lui sert d’interface avec la clientèle. Si le système ne vous inspire pas confiance, vous n’achetez pas. Nous savons par ailleurs qu’il faut rester vigilant sur ce point.
La foi rend les relations fluides. La confiance est le contexte le plus économique qui existe, celui qui permet le plus grand flux de transaction au moindre coût.
En fait, la vie fluide, la vie bonne a besoin de la confiance pour se déployer, puisque nous sommes des êtres de sens.
En guise de contre-exemple, les attentats du 11 septembre 2001 ont changé profondément quelque chose d’essentiel dans le monde, à savoir, la confiance, en l’occurrence, la confiance dans les passagers qui sont dans le même avion que vous. Cette perte est immense.
Dans le judaïsme, on nomme le récit du sacrifice d’Abraham « la ligature d’Isaac » (ou akéda d’Isaac). Il en est venu à représenter le summum de la dévotion d’un Juif envers Dieu.
Chaque matin, ils lisent avant leurs prières, le récit de la akéda dans la Torah, puis ils disent :
« Maître de l’univers ! Tout comme Abraham notre père a écarté sa compassion envers son fils unique pour accomplir Ta volonté d’un cœur entier, puisse Ta compassion écarter Ta colère contre nous et puisse Ta Miséricorde prévaloir sur Tes attributs de stricte justice. »
L’islam célèbre le sacrifice d’Abraham (Ibrahim) avec la fête de l’Aïd al-Adha (« fête du mouton ») ou Aïd el-Kebir (« grande fête ») qui clôture le pèlerinage à La Mecque, le dixième jour du dernier mois lunaire du calendrier musulman.
À La Mecque et partout dans le monde musulman, on y immole un animal en souvenir du geste de soumission d’Abraham, lors de l’épisode du « non- sacrifice » du fils.
À titre informatif, le texte du sacrifice d’Abraham a aussi quelque chose de subversif. Il s’agit de subvertir le sacrifice d’enfants pratiqué chez la Cananéens. Les premiers-nés peuvent être voués à Dieu, mais il n’est point besoin de les sacrifier.
La relation à Dieu dans le christianisme n’est pas de l’ordre du sacrifice ou de la soumission. À l’instar des relations humaines, il s’agit de respect, d’amitié et d’amour. Ce type de relation nous fait exister, car nous sommes des êtres de sens. Si intervient un sacrifice, il convient d’en préciser la nature et le sens.
L’évangile du jour nous propose le récit de la transfiguration. C’est comme si les yeux des trois apôtres s’ouvrent et voient le Christ comme ils ne l’ont jamais vu et la communion des saints qui l’accompagne.
Le Christ leur demande de ne relater cet événement qu’après sa résurrection d’entre les morts.
La résurrection, voilà un autre thème sous-jacent à la ligature d’Isaac.
En effet, le texte biblique raconte que le troisième jour, Abraham leva les yeux et vit le lieu de loin. Abraham dit aux serviteurs: «Restez ici avec l’âne; moi et le jeune homme, nous irons jusque là-haut, nous nous prosternerons et nous reviendrons vers vous. (Gn 22,4-5).
Tout d’abord, dans la symbolique hébraïque, le troisième jour est le jour du dénouement.
«Le troisième jour», Isaac échappa à la mort lorsque l’ange du Seigneur interdit à son père Abraham de porter la main sur lui.
Bien que, selon le récit de la Genèse sur la ligature d'Isaac, un ange de Dieu ait arrêté Abraham avant qu'il ne tue son fils, certaines versions midrashiques de l'histoire disent le contraire.
Les Pirkei De-Rabbi Eliezer, un ouvrage midrashique du huitième siècle, considèrent la ligature d'Isaac comme le premier cas de résurrection dans l'histoire juive.
Pirkei De-Rabbi Eliezer, 31:10 :
« Rabbi Jehudah a dit : Lorsque la lame toucha son cou, l'âme d'Isaac s'enfuit et s'éloigna, mais lorsqu'il entendit Sa voix d'entre les deux Chérubins, disant (à Abraham) : "Ne pose pas ta main sur le garçon" (Gen. 22:12), son âme revint dans son corps, et (Abraham) le libéra, et Isaac se tint sur ses pieds. Isaac savait que c'est de cette manière que les morts seront ressuscités dans l'avenir. Il ouvrit la bouche et dit : Béni sois-tu, Seigneur, toi qui ranimes les morts ».
En conséquence, il y a quelque chose, dans la tradition judaïque, de la mort et de la résurrection d’Isaac dans ce récit.
Un passage du Nouveau Testament présente des affinités manifestes avec cette tradition.
Dans l’Épître aux Hébreux, il est écrit: Par la foi, Abraham, mis à l’épreuve, a offert Isaac; il offrait le fils unique, alors qu’il avait reçu les promesses et qu’on lui avait dit: C’est par Isaac qu’une descendance te sera assurée. Même un mort, se disait-il, Dieu est capable de le ressusciter; aussi, dans une sorte de préfiguration, il retrouva son fils (He 11,17-19).
Abraham selon les sources juives, dit à ses serviteurs: «Nous reviendrons». Restez ici un moment, nous reviendrons, autrement dit, Isaac et moi.
Cette phrase doit certainement nous rappeler des paroles du Christ au mont des Oliviers.
La Traduction Œcuménique de la Bible parle à ce sujet de «l’espèce de résurrection dont Isaac fut l’objet en échappant à la mort».
En d’autres termes, dans la foi, Abraham a bien sacrifié Isaac. Voilà pourquoi, Dieu le lui a rendu ou il a été dispensé de le sacrifier en personne. Abraham est digne de foi.
À bien penser, quand on s’engage dans la vie avec Dieu ou avec autrui, comme le conjoint par exemple, pour montrer le niveau d’engagement, vient un moment où il faudra franchir un seuil qui demande de sacrifier quelque chose de soi, une chose précieuse qui nous signifie. Il faudra l’offrir, l’investir, le miser, pour devenir digne de foi dans l’engagement. On peut le garder par-devers soi ; auquel cas, on ne franchira pas le seuil qui mène à une vie signifiante, une vie qui fait signe.
Dans les événements de la semaine sainte, il sera important de noter comment le Christ investit ces figures et les mène à leur accomplissement, à la transfiguration de la vie même.
Roland Cazalis, compagnon jésuite
Gn 22, 1-2.9-13.15-18 ; Ps 115 (116b), 10.15, 16ac-17, 18-19 ; Rm 8, 31b-34 ; Mc 9, 2-10
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