Je me suis arrêté à la rencontre entre cet homme et Jésus.
On dirait que tout ce que nous dit le livre de la sagesse, dans la première lecture, est concentré dans les paroles échangées.
L’homme aborde Jésus avec cette expression « bon maître ». Ce n’est pas une formule de politesse.
On traite rarement les gens de « bon » en leur présence.
Quand on le fait, c’est le trop-plein du cœur qui s’exprime.
Cet homme connaît Jésus, au sens où il connaît les signes qu’il a accomplis, l’enseignement qu’il a prodigué à la foule et le type de personne qui transparaît dans ses faits et ses paroles.
La bonté transparaît en lui. Il n’y a pas de mal en lui. Et, quelque part, comme cet homme a un cœur vertueux, il trouve en Jésus un être que son cœur aime.
Si nous avons un cœur grand, pour ne pas dire pur, alors la bonté qui transparaît chez l’autre peut nous attirer ou nous faire signe.
Ou alors, nous pouvons être amenés à faire quelques pas en arrière ou à côté, parce que la bonté qui transparaît chez l’autre, ou toute autre qualité ou vertu, au sens évangélique du terme, nous embarrasse, nous dérange, nous fait souffrir.
Car, ce qui transparaît fonctionne comme un miroir et nous montre ce que nous ne sommes pas, ou ce que nous aurions dû être.
C’est ainsi que Pierre, tombant à genoux, dira à Jésus, « Seigneur, éloigne-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur» (Luc 5, 8).
Nous avons des répliques de cette expérience dans toute la bible.
« Éloigne-toi de moi, ». Mais Jésus ne s’éloigne pas. Il reste avec Pierre.
Jésus ne porte pas de jugement sur Pierre, bien au contraire.
C’est Pierre qui se juge lui-même.
Là, nous pouvons entendre le texte de la deuxième lecture.
Les apôtres ont eu la chance d’avoir devant les yeux, la Parole vivante.
Nous, nous apprenons à la voir en l’écoutant.
La Parole ne juge pas ; elle attire.
Elle nous attire jusqu’où nous voulons aller et nous rappelle ou nous fait sentir jusqu’où nous voulons aller en sa direction, ou tout simplement, où nous voulons aller. Ce n’est pas nécessairement en sa direction.
Je dirai dans une formule diplomatique qu’il n’y a pas d’urgence. Ou, s’il y a une urgence, nous la sentons, nous savons l’évaluer. Le tout est d’être sincère dans sa démarche.
L’exclamation de Pierre, « je suis un homme pécheur », et de toutes les variantes qui sont dans la bible, signifient que nous percevons le Christ au travers de notre personne, dans l’épaisseur, dans la densité de notre personne.
Cette exclamation signifie que nous ne sommes pas satisfaits de notre état et que nous désirons davantage. C’est l’expression d’un désir de salut.
Et Jésus appelle Pierre à ce davantage en lui disant « Ne crains point; désormais, tu seras pêcheur d'hommes ».
« Que ferai-je pour hériter d’une vie éternelle ? »
La formule peut paraître cocasse. Mais en fin de compte, elle n’est pas si étrange que cela.
L’héritage, c’est ce que l’on reçoit d’un autre.
La vie éternelle, au sens de la vie éternelle avec Dieu, est un choix signifié par ce que l’on fait ou ce que l’on sème. Si l’on récolte ce que l’on sème, alors on devient son propre héritier. Ce n’est pas si absurde.
Cet homme a gardé les commandements depuis sa jeunesse. Cela montre sa grande âme.
Marc nous dit que Jésus posa son regard sur lui, à ce moment-là !
Il ne l’avait pas encore vraiment fait. Il le découvre tout d’un coup.
Et il trouve en cet homme un être que son cœur aime.
Voilà pourquoi, il veut lui donner bien plus que ce qu’il désire, il veut commencer à le lui donner dès maintenant.
Il lui dit alors « rends-toi libre, et viens avec moi ».
C’est la question que l’on vous pose dans la sacristie, avant que le cortège ne s’élance pour la cérémonie d’ordination sacerdotale ou pour prononcer les voeux solennels : « es-tu libre ? ».
Il est encore temps de dire non.
Thérèse d’Avila disait « attention à ce que vous demandez à Dieu, car vous risquez de le recevoir ».
Cet homme n’imaginait pas que sa demande adressée au Christ allait recevoir, à l’instant, une réponse qui lui demande qu’il se décide sur-le-champ !
Si dans votre vie, vous avez expérimenté cet instant d’urgence du présent, que c’est ici et maintenant que le futur se décide, alors vous êtes à même de comprendre le drame qui se noue chez cet homme.
Le choix de vie ne doit pas être un drame intérieur.
La question de cet homme était si forte, qu’on le croyait disposé à tout, qu’il ne demandait pas qu’un devis, ‘combien cela me coûterait ?’
Il n’est pas libre. Alors, la vie ne peut pas prendre, pour l’heure, la direction qui lui est offerte. Il reconnaît comme Pierre qu’il est un homme pécheur. Alors, il s’éloigne du Christ. Ce qu’il ne faut pas faire quand on veut la vie. Il vaut mieux demander au Christ de s’éloigner. Lui ne partira pas
Roland Cazalis, compagnon jésuite
Sg 7,7-11 ; Ps 89(90, 12-13,14-15,16-17 ; Hé 4,12-13 ; Mc 10,17-30