Mt 7, 21.24-27 En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” Qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. Ainsi, celui qui entend les paroles que je dis là et les met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a construit sa maison sur le roc les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison ; la maison ne s’est pas écroulée, car elle était fondée sur le roc. Et celui qui entend de moi ces paroles sans les mettre en pratique est comparable à un homme insensé qui a construit sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, les vents ont soufflé, ils sont venus battre cette maison ; la maison s’est écroulée, et son écroulement a été complet. »
La fête de la famille ignatienne, à l’occasion de la Saint François Xavier, nous donne de rencontrer tous ensemble : jésuites, autres religieux, religieuses, laïcs de spiritualité ignatienne, membres de la Communauté de Vie Chrétienne, ce passage de l’Evangile retenu par l’Eglise pour le mercredi de la première semaine de l’Avent. Et c’est heureux. Nous pourrons y puiser l’encouragement à développer une attitude profondément ignatienne et humaine : l’évaluation. Découvrons la perle qui se propose pour nous nous, en ce jour.
Ce passage de l’évangile de Mathieu est bien souvent retenu par les fiancés, pour leur mariage. Vouloir fonder sa vie sur le roc, est une aspiration légitime lorsque nous voulons que quelque chose, auquel on tient, dure, et nous sommes prêts à prendre les moyens, à faire effort, à en payer le prix. La figure de Saint François-Xavier, partant seul aux extrémités de la terre, passant en bien des pays, des cultures, l’Inde, le Japon, la Chine et d’autres, affrontant bien des périls, des naufrages, des maladies… sans cesse en mouvements, continue à nous ancrer dans la perspective d’une attitude héroïque, dans la nécessité de faire de grandes choses pour que ce qui compte pour nous soit ancré sur le roc… Et pourtant, et pourtant…
Ce qui a fait tenir, au jour le jour, François Xavier dans sa vie pleine de vicissitudes, d’aléas, d’incertitudes, c’est ce moyen doux de la correspondance qui s’échangeait entre lui et Ignace. François-Xavier gardait les lettres sur son cœur. Dans une lecture souvent reprise, dans une écriture longuement réfléchie, le courrier ne pouvait pas être très fréquent à cette époque, François-Xavier épanchait son cœur, rendait compte et recevait aussi des nouvelles pleines de délicatesses et d’attention envers lui, envers le sens de ce qu’il vivait. Dans cet échange, cette communication, cet entre-deux pouvait se maintenir en lui un cœur ouvert, doux, confiant… ce qui constitue le véritable roc de l’homme, son unique force au jour du péril.
Ce qui nous établit sur le roc de notre humanité est ce qui nous maintient, régulièrement, dans le partage, dans l’ouverture à l’autre. Et pour cela, nul besoin de faire de grande chose, mais veiller à maintenir doucement son cœur ouvert, ouvert à l’autre. C’est bien ce que notre pays, la douce France, essaie de vivre prise entre une économie débridée qui l’épuise, des bouffées de violences extrêmes qui risquent de la tétaniser. Avoir le cœur ouvert, c’est ce qui permet de sourire à l’enfant, de plaisanter avec la personne âgée, d’encourager le collègue, d’accueillir l’inconnu, de se réjouir à la table familial, de refaire alliance avec les amis de passage, d’être attentif à l’inconnu que l’on croise, de se recevoir aussi soi-même… de goûter doucement ce qui se donne doucement, de pouvoir s’en réjouir, de dire merci aux autres et à son Dieu.
Chaque groupe humain déploie des manières, souvent très simples, pour s’adoucir, maintenir les cœurs ouverts en son sein, le principe de la relation aux autres… Cela peut paraître dérisoire mais se révèle, le jour de la catastrophe, plein de sens… Les actes de violence extrême de ces jours nous en ont, encore une fois, convaincus… S’attaquer par la violence à la manière de goûter la vie, le repos, la détente, la rencontre… en s’attaquant, au repas à plusieurs, au verre partagé, au spectacle de la fin de semaine… Dans l’industrie, le maintien du cœur ouvert, c’est la poignée de main, échangée au moment de la prise de travail, entre tous. Un bref contact qui reconnait l’humanité et la fragilité de l’autre et de moi. C’est sur ce fond que se vivra la journée de labeur avec les conflits qui naîtront, les sollicitations à l’effort inattendu, le contentement de l’objectif acquis…
Et pour nous, chrétiens, il en est bien ainsi. L’appel de Baruch résonne à notre mémoire « Homme, répond le prophète, on t’a fait connaître ce qui est bien, ce que le Seigneur réclame de toi : rien d’autre que respecter le droit, aimer la fidélité, et t’appliquer à marcher avec ton Dieu. » [Michée 6,8]. C’est le pain quotidien partagé, Eucharistie et repas. C’est aussi vrai pour les ignatiens que nous tentons d’être pour devenir davantage chrétiens, davantage humains… Considérons nos lieux propres de ressourcement, personnel et communautaire, pour la douceur de notre être, pour l’ouverture du cœur…
Dans la famille ignatienne, pourquoi ne pas nous inscrire davantage dans une réciprocité d’échanges en prenant aussi les habitudes des uns et des autres. Faire comme l’autre fait, peut réveiller, en moi, ma manière propre, la parfaire. Oser se laisser enseigner, en avoir l’humilité. Comme jésuite, vivant au sein de la Communauté de Vie Chrétienne, je désire vous partager une manière qui m’humanise, l’évaluation à la fin de la réunion en CVX et que j’aimerais voir se répandre dans la Compagnie de Jésus. Cette manière peut se vivre par quiconque, en toute occasion…
En quoi cela consiste ? Dire à la fin de la rencontre, après un bref temps de silence, ce que la rencontre m’a apporté aussi bien ce qui m’a réjoui, que ce qui m’a paru plus lourd, plus blessant. Peu à peu, dans la pratique, chacun apprend à dire ce qu’il ressent vraiment, laissant ainsi sa sensibilité s’éduquer. Certain, qu’il est, peu à peu, qu’aucune discussion ne naîtra de là, que ce qu’il dit sera entendu, réfléchi par l’autre, puis éventuellement repris dans un temps second. Et qu’est-ce que cela produit ?… Bien des choses mais notamment une manière d’être qui permet d’affronter à deux le conflit vécu, lorsqu’il paraît : en disant la blessure, en l’entendant, en trouvant la manière de renouer le dialogue, de percevoir à travers cela la promesse de vie pour tous à laquelle nous sommes, chacun, appelés et qui donne de vivre le pardon...
Que chacun trouve, revisite ce qui garde son cœur ouvert à l’autre ! Nous bâtirons ensemble sur le roc de notre commune humanité, rendus capables de résister aux intempéries de la violence ! Belle fête de Saint François Xavier à chacun, chacune !
Père Jean-Luc Fabre
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