Sans les disciples à côté de lui, car envoyés en mission, Jésus disparait du fil du récit évangélique. Celui-ci s’interrompt donc avec un intermède. L’occasion pour le narrateur, Marc, d’évoquer la figure du Baptiste ainsi que les conditions de sa mort.
Il y a bien des éléments du passage de l’évangile que nous venons d’entendre qui évoquent la future passion du Christ, comme ainsi l’occasion pour pouvoir se débarrasser de Jean Baptiste de la part d’ennemis faibles, Hérodiade. Pour Jésus il y aura la fête de la Pâque, avec la manipulation de la foule par les autorités juives. Mais, avant ce dégagement, il aura fallu que Jean comme Jésus deviennent influents parmi le peuple et présentent ainsi un danger pour les grands. Il faudra alors qu’ils soient livrés par les circonstances ou plus exactement par un traitre, à partir d’une faiblesse humaine, dans un cas Hérode et sa faiblesse de volonté, dans l’autre Juda et son goût de l’argent. Puis il y aura le silence étourdissant de la victime devant ses bourreaux aussi bien en prison que durant le procès. Et enfin la récupération silencieuse et pleine de dignité du cadavre par leurs proches.
A partir de là, nous pourrions méditer comment la passion du Christ se fait si proche de bien des morts violentes (aussi bien physique que sociale) que nous pouvons connaître. Mais je vous propose d’entrer plutôt dans la complexité de l’être humain, dans notre propre complexité…
Nous avons, en effet, ici aussi, mises en scène, trois personnes, trois personnages mêmes, tellement elles sont typées : Jean le Baptiste, le Roi Hérode, le binôme incestueux d’Hérodiade avec sa fille. Se laissent découvrir, avec eux, trois attitudes intérieures en toute situation, qui découlent de trois chemins de vie… et qui impliquent trois manières d’entrer en relation avec les autres… peut-être l’occasion offerte de nous situer nous-mêmes, de constater que nous sommes peut-être un peu des trois, mais que certaines attitudes sont pour nous bien plus porteuses de vie que d’autres.
Jean c’est Celui qui se sait pauvre et qui est vrai de par sa pauvreté. Comme Jésus à travers l’épreuve du désert, il a appris à vivre de ce lieu en lui, en solitaire… Il est désormais fidèle et libre sur son chemin personnel qu’il poursuit en se respectant lui-même dans toutes les situations qui se présentent à lui. Pour lui, il n’y a pas à proprement parler d’occasions favorables ou non. Mais il sait qu’il a seulement à témoigner, à attester de la vérité en toute situation telle qu’elle se présente à lui. Il est cette voix qui crie dans le désert…
Hérode c’est Celui qui flotte parce qu’il est riche de biens qu’il ne possède pas vraiment, qu’il n’a certainement pas acquis par lui-même, qu’il n’a pas obtenu grâce à son labeur. Il va, il vient ainsi au gré de ses attraits, de ses hantises avec des propos non habités. Comment peut-on, comme cela, proposer de donner la moitié de ses biens, de son royaume même ? Affligeante inconséquence. Alors il ne pourra avancer dans le sens de sa vie personnelle qu’en étant blessé, qu’en vivant une perte qui s’imposera à lui… Alors ce qui compte pour lui se révélera à lui et pourra s’inscrire en lui, en sa chair, lui donner un axe de vie, l’orienter. Il peut être, pour le moment, l’objet de toutes les convoitises, il est manipulable.
Hérodiade c’est Celle qui escompte. Elle rebondit sans cesse, elle manipule, et, pour cela, elle se manipule aussi. Elle distord son intérieur ainsi que son extérieur, en fonction de la situation pour donner la meilleure image attendue et obtenir ce qu’elle veut. Elle n’exprime jamais ce qu’elle pense, ce qu’elle croit. Elle cherche à profiter de la situation, elle est attentive aux opportunités, elle fait feu de tout bois. Son intérieur se plie à la situation. Le seul lieu de vérité pour elle est sa relation clanique, viscérale avec sa fille, elles ne font qu’un dans une passion qui n’a de force que d’être partagée entre elles. La vie coulera en elle de la dissociation de cette paire infernale, un jour.
Nous sommes un peu de Jean, d’Hérode, d’Hérodiade. Que le Seigneur nous donne de faire la vérité en nous et de vouloir être simplement et doucement, en vivant de lui.
Jean-Luc Fabre, compagnon jésuite
Marc 6,14-29 : En ce temps-là, comme le nom de Jésus devenait célèbre, le roi Hérode en entendit parler. On disait : « C’est Jean, celui qui baptisait : il est ressuscité d’entre les morts, et voilà pourquoi des miracles se réalisent par lui. »
Certains disaient : « C’est le prophète Élie. » D’autres disaient encore : « C’est un prophète comme ceux de jadis. »
Hérode entendait ces propos et disait : « Celui que j’ai fait décapiter, Jean, le voilà ressuscité ! »
Car c’était lui, Hérode, qui avait donné l’ordre d’arrêter Jean et de l’enchaîner dans la prison, à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe, que lui-même avait prise pour épouse.
En effet, Jean lui disait : « Tu n’as pas le droit de prendre la femme de ton frère. »
Hérodiade en voulait donc à Jean, et elle cherchait à le faire mourir. Mais elle n’y arrivait pas
parce que Hérode avait peur de Jean : il savait que c’était un homme juste et saint, et il le protégeait ; quand il l’avait entendu, il était très embarrassé ; cependant il l’écoutait avec plaisir.
Or, une occasion favorable se présenta quand, le jour de son anniversaire, Hérode fit un dîner pour ses dignitaires, pour les chefs de l’armée et pour les notables de la Galilée.
La fille d’Hérodiade fit son entrée et dansa. Elle plut à Hérode et à ses convives. Le roi dit à la jeune fille : « Demande-moi ce que tu veux, et je te le donnerai. »
Et il lui fit ce serment : « Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, même si c’est la moitié de mon royaume. »
Elle sortit alors pour dire à sa mère : « Qu’est-ce que je vais demander ? » Hérodiade répondit : « La tête de Jean, celui qui baptise. »
Aussitôt la jeune fille s’empressa de retourner auprès du roi, et lui fit cette demande : « Je veux que, tout de suite, tu me donnes sur un plat la tête de Jean le Baptiste. »
Le roi fut vivement contrarié ; mais à cause du serment et des convives, il ne voulut pas lui opposer un refus.
Aussitôt il envoya un garde avec l’ordre d’apporter la tête de Jean. Le garde s’en alla décapiter Jean dans la prison.
Il apporta la tête sur un plat, la donna à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère.
Ayant appris cela, les disciples de Jean vinrent prendre son corps et le déposèrent dans un tombeau.