Il est paraît-il des terres brûlées
Donnant plus de blé qu'un meilleur avril
Jacques Brel - Ne me quitte pas
Un des versets de la chanson "Ne me quitte pas" s'agit bien du monde agricole, de la nature dont parle Félix Timmermans dans "Prière d'un paysan".
Cette prière est toute à la fois, un très beau poème qui relie notamment différentes dimensions du temps, celui que nous recevons, parce qu’il ouvre comme un espace, un champ… celui qui est « ritualisable », celui que nous pouvons habiter avec d’autres, en relation avec eux, que cela soit la feuille morte, les arcs-en-ciel…, le temps aussi de notre action, qui ordonne chaque chose selon une certaine finalité et ensuite le temps de la décision qui nous donne d’entrer dans la vraie dimension de nos jours… celle de pouvoir simplement dire merci, merci du fond du cœur…
Alors entrons dans sa rythmique, laissons nous entrainer vers notre vraie dimension : la louange qui naît tout ce que nous recevons, que nous ne cessons de recevoir…
Oui, cherchons à écouter et à faire silence pour laisser de la place à la beauté de Dieu…(pape François, @Pontifex_fr, 24 décembre 2014)
Prière d'un paysan
Mon Dieu, je vous remercie pour ce champ que vous dominez invisiblement du haut du ciel
Je vous remercie, la nuit, quand je vous entends bruire parmi les étoiles
Je vous remercie pour le printemps, pour l’été, pour l’automne et pour l’hiver, car ce sont là quatre gestes de votre bonté, et la joie, les fruits qu’ils apportent sont toujours pareils, c’est comme s’ils étaient chaque fois accordés pour la première fois.
Je vous remercie pour les arcs-en-ciel que vous tendez sur les nuées d’orage, pour la pluie qui ranime mes plantes, pour le soleil qui les aspire hors de terre, pour le vent qui chasse tout ce qui est mauvais et qui fait tourner les moulins et aussi pour la neige qui emmitoufle les blés d’hiver
Merci pour les feuilles qui tombent : elles font du fumier. Merci pour l’herbe qui devient du lait. Merci pour les nuages, pour le ruisseau, pour les saules et pour toutes les plantes, aussi bien pour les betteraves que pour les petits radis. Votre souffle leur donne ta volonté de vivre, la saveur, la couleur, la taille nécessaire. Merci pour votre inlassable activité diurne et nocturne : vous êtes notre aide. Votre puissance trime comme un valet.
Je vous remercie, Seigneur, qui êtes au ciel, sur la terre et en tous lieux.
Nous vous remercions, vous qui apparaissez dans ce Saint Sacrement dont l’hostie est faite du même blé que nos tartines, cette hostie vers laquelle monte notre adoration, lorsque, dans la lumière des cierges, la fumée de l’encens, elle avance en procession par les champs.
Je vous remercie, Seigneur, par la harpe et par l’archet. Est-il imprimé dans mon livre de prières, mais je ne possède qu’un trombone sur lequel je ne sais, d’ailleurs, jouer qu’une marche funèbre et une valse.
Je vous remercie de tout mon cœur fervent.
Faites que je puisse, pendant de longues années encore, travailler dans mon champs, à la sueur de mon front.
Félix Timmermans – Psaume paysan, 1935.
Biographie de Félix Timmermans : Écrivain belge d'expression néerlandaise (Lierre 1886 – id. 1947). En dehors de tout courant littéraire, il occupe une place à part dans la littérature belge. Issu d'une famille d'artisans, artisan lui-même, il publie d'abord des vers (1907) et des récits pessimistes avant de devenir célèbre avec la publication, au sortir d'une crise religieuse, de Pallieter (1916), série de tableaux de mœurs flamandes qui ont pour héros un jeune et joyeux meunier, paillard et farceur, plein d'entrain et de couleur. Vivant désormais de sa plume, il écrit des romans et des récits débordant de vitalité et d'humour et tout imprégnés de la Flandre dont il recrée aussi bien les mentalités (Psaume paysan, 1935) que l'atmosphère pittoresque des petites villes (l'Enfant Jésus en Flandre, 1917 ; Pieter Brueghel, 1928 ; la Harpe de saint François, 1932 ; la Famille Hernat, 1941 ; Adriaan Brouwer, 1948). Son théâtre, en collaboration avec E. Veterman, puise aux mêmes sources d'inspiration. Un recueil poétique, Adagio (1947), est l'expression d'une foi confiante inscrite, en filigrane, dans toute son œuvre. (source : http://www.larousse.fr/encyclopedie/litterature/Timmermans/177433)