Nous venons d’entendre le récit de la Passion de Notre Seigneur. Nous sommes habités par pleins de sentiments divers, devant tant de violences, tant d’humanités, tant de résonances avec nos propres vies. Et nous cherchons, comme nous l’avons déjà demandé à la messe des Rameaux et de la Passion, qu’il nous soit accordé cette grâce de « retenir des enseignements de la passion du Seigneur ». Et cette Passion ne cesse de nous enseigner tout au long de notre existence ce qu’est la vraie vie, comment nous pouvons nous situer en vérité devant la violence, l’adversité, la perte de soi. Alors, pour cette année, je vous propose de mieux recevoir ce que représente le respect quand le passage des Hébreux affirme qu’« il fut exaucé en raison de son grand respect ».
La situation est paradoxale. Il nous est dit que le Christ a été exaucé de sa supplication de ne pas mourir alors qu’il est mort. Et de plus, qu’il a été exaucé, grâce au grand respect, qu’il a manifesté. Comment comprendre ? De quel respect parlons-nous ? Et qu’a fait Jésus vraiment ? Effectivement, il a offert, « avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort » et il est mort. Mais si nous regardons plus largement tout au long sa Passion, nous voyons qu’il a aussi consenti à considérer, en plus de sa demande qu’il a formulée, la demande de son père. Il a considéré aussi toutes les personnes qui faisaient partie de sa situation : les disciples, les femmes de Jérusalem, les juges, les puissants, les gardes, les soldats, les foules, le traite et bien d’autres encore... Chaque personne a été considérée, reçue par Lui. Le Christ ne s’est pas coupé de la situation dans laquelle il était pleinement présent, parfois silencieux. En cela, il a exprimé, jusqu’à l’ultime de son existence, ce qui lui tenait le plus à cœur. Permettre à tous de vivre dans la Paix en relation avec son Père. Il l’a cherché jusqu’au dernier souffle. Et c’est ainsi qu’il revient à la vie, non pas celle d’avant mais la vie nouvelle, la vie éternelle, qui lui donnera de vivre selon cette même orientation.
Le respect apparaît donc comme la recherche de la bonne distance avec les autres, tous les autres en les situant, en se situant aussi soi-même. Et nous découvrons, en ce jour de la Passion, que ce travail d’ajustement ne va pas de soi. Il en coûte à celui qui veut vivre dans le respect. Il est nécessaire de ne pas absorber, de ne pas être mangé, mais d’être à la juste distance qui permet à chacun d’être libre et capable d’une vraie relation. Pour cela, il faut intérioriser toutes ses relations, et laisser, peu à peu, émerger la forme qui donner à sa propre action d’être ajustée. Et c’est ce qui se passera avec la résurrection, le Seigneur renaîtra capable de réconcilier toute situation humaine, comme il l’avait déjà fait avec la scène de la femme adultère. Là, il s’était accroupi pour recevoir la charge d’agressivité de ses opposants. Il a laissé son cœur être assailli par la violence et, peu à peu, a émergé, en lui, un chemin pour sauver tous les protagonistes : les opposants, la foule, lui, la femme, et, par-là, rétablir la paix. Il procédera ainsi. Il se lèvera, prononcera la parole « que celui qui n’a jamais péché lui lance la première pierre », il s’accroupira de nouveau et attendra le mouvement des autres libertés. Ce mouvement avec le départ de tous lui permettre de pouvoir parler en vérité, seul à seul, avec la femme pécheresse. Scène modèle de ce qui se vit à la Passion : les colères s’abattent sur lui, il ne les esquive pas, il les reçoit, les laisse travailler au plus profond de lui-même pour se redresser le jour de la Résurrection et annoncer à tous la Parole de Vie.
Voilà donc en quoi consiste la démarche pour accéder au respect : laisser l’autre, avec toute sa charge d’agressivité, travailler en moi, pour qu’une parole de bénédiction, pour tous, sorte de mon cœur.
Le Vendredi saint est aussi le moment où le peuple chrétien, en mesurant la fragilité de la vie, éprouve le besoin d’une prière profondément universelle, et nous allons nous-même, petite communauté croyante, nous unir à cette grande prière de l’Eglise. Alors je pense que nous pouvons, d’ores et déjà, demander au Seigneur qu’il suscite des personnes capables de faire comme lui, en ces temps troublés, aussi bien pour son Eglise que pour les pays et singulièrement la France. Qu’il prépare des hommes, des femmes capables d’accueillir les violences de tous, de trouver dans leur cœur la parole d’union qui restaurera la paix. Notre monde, notre pays, notre Eglise ont tellement besoin de personnes ainsi bâties. Donne les nous, envoie les nous Seigneur!
Et plus largement, Seigneur, fais à chacun de nous la grâce de recevoir tel ou tel aspect de ta Passion pour qu’à notre tour, là où nous sommes, nous puissions devenir des serviteurs disponibles pour la diffusion de ta Paix, Paix qui ne se reçoit qu’à travers ta Passion assumée.
Père Jean-Luc Fabre