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L'Adieu (The Farewell) - film 2019

Publié par Jardinier de Dieu sur 5 Mars 2020, 17:24pm

Catégories : #actualités

Dans le film « l’Adieu », nous suivons comment une famille ainsi que chacun de ses membres se situent par rapport à l’annonce de la mort de la grand-mère bien-aimée, Naï Naï, atteinte par un cancer des poumons. Cette dernière vit dans une grande ville chinoise et ses deux fils ainsi que leurs familles sont à l’étranger : l’ainé au Japon et le cadet aux USA. Nous pouvons suivre l’évolution de Billi, la petite fille américaine, ainsi que celle de ses deux parents et de l’oncle du Japon.

La « famille » [sans que nous sachions vraiment qui] a décidé de ne rien dire à l’aïeule, pour que sa fin de vie soit douce. D’où le subterfuge d’un mariage inventé pour donner à toute la famille la possibilité de revoir « naturellement » Naï Naï, avant sa disparition. La réaction des uns et des autres se coulent dans le code familial chinois ou entre en tension avec lui.

Ainsi, cette manière familiale d’imposer heurte fortement Billi, au début. Elle a épousé les valeurs individualistes des USA, elle veut s’en sortir par elle-même, dans sa propre vie malgré les difficultés qu’elle tient secrètes. Aussi, dans sa vision, chaque personne doit avoir accès aux informations la concernant, doit pouvoir exercer jusqu’au bout sa liberté, pouvoir dire adieu aux personnes qu’elle connait, si elle le désire... Faire autrement serait un mensonge et serait même illégal. Mais devant la grand-mère, l’émotion étreint Billy et la rend inerte. Naï Naï l’invite à sa séance matinale de gymnastique et lui donne de sentir comment elle peut, elle aussi, pousser pleinement le cri qui lui correspond. Tout au long du film, la grand-mère va ainsi aider sa petite fille bien-aimée à se dire, à prendre possession d’elle-même, se respecter, s’exprimer. Billi pourra lui avouer que son avenir professionnel est rendu bien problématique par le refus de l’attribution d’une bourse. Peu à peu, Billi sent qu’elle aimerait pouvoir rester en Chine, se couler dans cette manière de vivre, rester auprès de sa grand-mère mais elle devra retourner à New York. Ainsi lors de son séjour chinois, Billi n’aura pas pu parler à sa grand-mère de sa santé. En fait, elle n’aura seulement parler d’elle-même à sa grand-mère, et cela parce qu’elle aura trouvé un appui dans la connaissance acquise sur elle-même grâce à Naï Naï. Elle aura aussi recherché une protection extérieure, la culture chinoise qu’elle a redécouverte. Elle en a perçu la justesse, le bien-être. Dans le taxi, qui la ramène à l’aéroport, nous la voyons, elle et sa mère, communiant enfin dans la même douleur de la perte de la personne bien-aimée, le choc de la rencontre vécue, le retour aussi vers un monde incertain. Toutes les deux sont, à ce moment, dans l’incapacité de parler.

Sa maman comme son père, quant à eux, ont réussi à survivre aux Etats Unis, sans s’intégrer vraiment. Lors d’une soirée avec des amis américains, ils confessent en riant leur incapacité à trouver la bonne manière d’annoncer les mauvaises nouvelles, dans une société qui chérit la transparence. Sa mère, comme son père, sont mutiques : son père très souvent est affalé, laissant faire, sa mère se reconnaît incapable d’extérioriser ses sentiments. Le métier de traducteur du père l’amène à substituer les mots mais il peine à laisser surgir la moindre parole personnelle.

Le fils ainé, vivant au Japon, quant à lui, se révèle lors du repas de mariage capable d’exprimer publiquement toute l’affection et la reconnaissance qu’il a envers sa mère. Une parole personnelle nourrit de son expérience lui donne d’exprimer le sentiment qui habite aussi toute l’assemblée. Dans une situation globale de « mensonge », une parole de vérité peut se dire.

Le cinéaste nous fait percevoir une espèce de trépied qui aide la personne à faire face à toute situation. Se bien connaître pour être au clair dans la manière dont je vis ma situation, être capable d’une parole personnelle publique, et enfin pouvoir s’appuyer sur un système culturel de valeurs. Ce troisième pied culturel s’effondrant dans la transplantation géographique notamment, c’est la qualité des deux autres qui permettent la traversée. Y réussit bien l’oncle du Japon, Billi est sur le chemin, ses parents demeurent dans l’entre deux.

Une figure autre, lumineuse, traverse le film, un interne chinois ayant fait des études en Angleterre. Dans une scène symbolique, nous le voyons parler anglais à Billi et tout lui dire de la situation de Naï Naï, puis en chinois savoir édulcorer les choses, dans ce contexte plus communautaire, où chacun a davantage le souci de l’autre. Nous éprouvons dans les deux configurations une réelle humanité de la part du jeune médecin. Il a pris la mesure que la communication est certes influencée par la base culturelle mais que bien d’autres choses l’autorisent. La culture dès lors nous apparait que comme l’aggloméré d’expériences humaines, vécues puis narrées. Ce dont la société a besoin lorsqu’elle vit de grandes évolutions culturelles, c’est des hommes et des femmes ayant à partir de leur existence relue développer la capacité de parler.

 

Cette manière de faire de la part de l’oncle, de Billi, me suis-je dit en quittant le vieux cinéma de quartier où je venais de voir le film, peut venir en aide aux chrétiens en France. La base culturelle séculaire de l’Eglise catholique s’effondre, rien ne sert peut-être à vouloir la maintenir. Des hommes et des femmes faisant l’expérience de la foi, travaillant à l’exprimer en des mots nouveaux audibles socialement, seront les futures bases d’une nouvelle culture chrétienne…

Jean-Luc Fabre, compagnon jésuite

Billi pousse le cri de vie devant Naï Naï / Naï Naï dubitatives devant ce pseudo mariage entre son petiot fils et une japonaise.

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