Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 23, 1-12.
En ce temps-là, Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples,
et il déclara : « Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse.
Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas.
Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ;
ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues
et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi.
Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner, et vous êtes tous frères.
Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux.
Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ.
Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.
Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. »
***
Nous sommes toujours à Jérusalem, dans cette atmosphère lourde de conflits entre Jésus et les scribes, les Pharisiens. Jésus sait qu’il va à sa Passion, que ses disciples seront bientôt seuls, qu’un style de vie doit se constituer entre eux pour qu’ils puissent, durablement et intelligemment, être fidèles à la nouveauté que lui, Jésus, instaure et qu’ils auront, eux, les disciples, à transmettre. S’ouvrir au Royaume des Cieux doit ainsi aller jusque là : inventer un nouvel art de vivre, de nouveaux rapports entre les croyants, d’une autre nature que les rapports qu’ils connaissent dans les pratiques de la religion juive de leur époque. Jésus, en prenant distance d’avec les coutumes pharisiennes ainsi qu’avec celles des scribes, dresse le champ relationnel nouveau, champ à l’influence duquel nous avons à nous disposer si nous voulons entrer dans la nouveauté du Christ, ce champ qui animera l’Eglise et lui donnera de toujours retrouver sa fidélité.
C’est donc, en fait, un antagonisme global qui se déploie entre deux manières de vivre, de parler, d’échanger, d’agir... l’une tournée vers le paraître, l’autre vers l’être... La première nie l’être d’où il surgit en se substituant à lui, la chaire de Moïse est occupée, fermée. L’une met en avant la publication, le fait que l’action soit vue, l’autre se base sur le secret, l’intériorité en récusant le fait même de se faire appeler et reconnaître comme maître. Dans l’une, un système d’obligations pesantes est promu, dans l’autre chacun est en lien direct et personnel avec le Mystère de Dieu. Dans l’une, tout est hiérarchique, dans l’autre chacun est appelé à être frère de son prochain, chacun étant conduit par le seul et unique maître, le Christ...
« Les scribes et les Pharisiens se sont assis sur la chaire de Moïse ». La chaire de Moïse devait normalement être vide. Elle signifiait, par là, cette volonté pour le Peuple Juif de se livrer à la Parole reçue au-delà de ceux qui pouvaient la transmettre ou l’interpréter. Cette place vide renvoyait au surgissement toujours possible du prophète rappelant ponctuellement chacun à sa finalité. Les scribes et les pharisiens s’arrogent donc une position qu’ils n’ont aucun droit à occuper. Ils se coupent et coupent les autres du surgissement de la Parole de Dieu.
Cette notation faite par Jésus rappelle aussi le début de son propre discours sur la Montagne qui a commencé par la proclamation des béatitudes. Là, le Christ était lui aussi assis lors de son enseignement, tel un nouveau Moïse, certes mais à même le sol. Et, ensuite, il marchera avec ses disciples humblement, cherchant de tout son être à incarner ce qu’il a annoncé... L’enjeu est donc, pour nous, de laisser ou non un espace vide entre ce qui est dit et celui qui le dit. Espace qui donne à chacun de pouvoir faire silence, de pouvoir se situer lui-même, de pouvoir se déterminer.
« Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes » cette tendance à vouloir occuper les places signifient une incapacité à se tenir sur soi, dans le silence et la solitude, en intimité avec Celui qui nous fait vivre. Dès lors la tendance est grande de se récupérer dans une extériorité où chacun reçoit de l’autre son identité dans un charivari de salutations, de congratulations... Ce jeu à vrai dire est sans fin car livré à la seule appréciation externe. Manque l’ancrage sur une mission reçue dans le secret de son cœur qui reconnaît en l’autre un frère à aimer patiemment et à qui je m’adresse humblement.
« Vous êtes tous frères » Le nouveau rapport que propose Jésus est celui de fraternité. La fraternité naît à partir de la liberté de chacun, [qui doit se constituer, se déployer] ainsi que d’une manière commune de se rapporter justement aux autres [où chacun est à égalité, tourné qu’il est vers le devenir de sa propre liberté en relation avec le Père à la suite du Christ]. De cette conjonction entre la liberté et ce principe de relation avec l’autre, peut surgir la merveille de la reconnaissance, qui a pour nom : fraternité. « Je chemine avec toi vers Notre Seigneur... »
Jean-Luc Fabre, compagnon jésuite
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