Assemblée plénière des évêques de France à Lourdes (03-08 novembre 2012)
Homélie retransmise en direct de la basilique Notre-Dame-du-Rosaire à Lourdes, par le Jour du Seigneur (France 2)
Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 12,28b-34.
Un scribe qui avait entendu la discussion, et remarqué que Jésus avait bien répondu, s'avança pour lui demander : « Quel est le premier de tous les commandements ? »
Jésus lui fit cette réponse : « Voici le premier : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur.
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force.
Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas de commandement plus grand que ceux-là. »
Le scribe reprit : « Fort bien, Maître, tu as raison de dire que Dieu est l'Unique et qu'il n'y en a pas d'autre que lui.
L'aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices. »
Jésus, voyant qu'il avait fait une remarque judicieuse, lui dit : « Tu n'es pas loin du royaume de Dieu. » Et personne n'osait plus l'interroger.
Vivre de la foi
[…] En cette Année de la foi, nous sommes invités à revenir à l'essentiel de notre foi en Dieu : notre foi
en un Dieu Père, révélé par le Christ, son Fils unique, et habitant le cœur des croyants par le don de l'Esprit. Bien souvent on nous pose une question analogue à celle du scribe : qu'est-ce que
c'est d'être chrétien ? Or, comme le scribe, nos questionneurs ont déjà des éléments de réponse : être chrétien, c'est croire en Dieu et servir notre prochain. Nos difficultés commencent quand
nous essayons d'exprimer les conséquences de ce double commandement que nous pressentons si exigeant.
Le christianisme apparaît à certains comme un carcan trop lourd à porter, surtout dans une civilisation
dominée par la satisfaction des désirs individuels. De quel droit Dieu viendrait-il se mêler de notre vie particulière ? Bien entendu, cette objection exprime en elle-même sa contradiction. Si
Dieu est Dieu comment pourrait-on lui contester le droit de s'occuper de nous ? Mais notre difficulté principale ne vient pas de cette contradiction. Elle vient de notre répugnance à accepter
qu'il y ait des règles de vie et que ces règles soient ordonnées au bien de l'homme. Nous adhérons avec une certaine satisfaction à une religion de l'amour, mais nous acceptons difficilement les
conséquences d'un amour total, « jusqu'à l'extrême », pour reprendre l'expression de Jésus.
Notre tentation de nous satisfaire de bons sentiments sans en supporter le poids, n'est pas seulement un
travers des chrétiens. Elle se retrouve chez tous les croyants et même chez les incroyants. Comment vivre en société sans reconnaître qu'il y a certaines règles de comportement qui dépassent les
désirs individuels et qui s'imposent à tous, non par moralisme ou aveuglement, mais simplement par un exercice de notre jugement à la lumière de la sagesse humaine et de notre conscience ?
Comment ériger en règle générale, voire absolue, ce que chacun désire ou expérimente et ce qu'il veut faire reconnaître comme une règle commune par tous ?
Quand l'Église fait appel à la conscience humaine, elle ne cherche pas à imposer une conception particulière
de l'existence. Elle renvoie à ce que notre civilisation a déchiffré du sens de la vie humaine et des impératifs du respect de la dignité personnelle de chacun. Les dix Commandements comme les
évangiles ont été des éléments décisifs de ce long travail. Notre foi et notre sagesse chrétiennes ont joué un rôle important dans cette prise de conscience commune, mais elles n'ont pas été les
seules. Les sages d'autres religions y ont aussi contribué, comme les humanistes de toutes les époques. Au nom de quelle sagesse, subitement surgie des désirs particuliers à notre pays et à notre
temps, devrait-on rejeter ces acquis de l'humanité ? Faut-il comprendre que l'humanité ne peut progresser qu'en rejetant ses acquis et son histoire ? Quand ces impératifs de la conscience humaine
sont contestés et rejetés jusque dans des lois qui définissent les conditions du vivre ensemble, nous ne pouvons pas nous taire.
Quand nous défendons le droit des enfants à se construire en référence à celui et à celle qui leur ont donné
la vie, nous ne défendons pas une position particulière. Nous reconnaissons ce qu'expriment les pratiques et les sagesses de tous les peuples depuis la nuit des temps et ce que confirment bien
des spécialistes modernes. Quand nous rejetons l'idée que quelqu'un soit habilité légalement à disposer de la vie de son semblable, quels que soit son âge et son état de santé, nous ne défendons
pas une position particulière. Nous rappelons simplement que la vie en société suppose que l'interdit du meurtre soit un des fondements de la confiance mutuelle.
La grandeur de la liberté humaine nous appelle à maîtriser nos comportements en ne cédant pas à tous les
désirs. Notre foi chrétienne ne fonde pas notre ambition sur nos capacités, mais sur l'amour absolu de Dieu qui nous a été révélé dans le Christ. Cette certitude nourrit notre conviction que les
êtres humains sont capables de choisir ce qui est le meilleur, non pour satisfaire les souhaits de chacun, mais pour le bien de tous. Nous ne prenons pas notre parti de voir un conformisme social
abolir les progrès de tant de siècles pour le respect des plus faibles.
En cette année de la foi, c'est ainsi que nous pouvons aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de
tout notre esprit et de toute notre force et notre prochain comme nous-mêmes. Que Dieu nous donne la force d'être fidèles à ces deux commandements dans tous les domaines de notre vie personnelle
et de notre vie sociale.
Cardinal Vingt-Trois, Lourdes, dimanche 04 novembre 2012