[…] C’est ce que j’ai fait quand j’ai rencontré Madame Taubira (Garde des sceaux, ministre de la Justice de France). J’ai pris l’exemple de la rentrée des classes et du petit garçon à qui on donne sa feuille pour inscrire son identité. Sur la feuille, il est indiqué « père : … » pour mettre le nom, « mère :… » pour mettre le nom. Et je dis : « maintenant vous aurez une feuille où apparaîtront « parent 1 » et « parent 2 ». Quels noms l’enfant mettra-t-il ? Comment va-t-il comprendre, lequel est le premier, lequel est le deuxième » ? Ce détail trivial ne semblait pas avoir été envisagé. Le conseiller dit, « Monseigneur nous ferons deux formulaires ». J’ai répondu « Vous ferez deux sortes d’enfants, donc vous ferez une discrimination entre les enfants pour effacer la discrimination entre les couples. »
Nous sommes convaincus que l’on ne se situe pas seulement dans un conflit de modèles sociaux -nécessairement évolutifs, on sait très bien que la conjugalité s’est déclinée de toutes sortes de façons à travers le temps- mais on est confronté à une sorte de choix où pourrait se réaliser une amputation de l’expérience humaine, c’est-à-dire la disparition de quelque chose qui permet aux hommes de comprendre ce qu’ils sont et de le vivre.
Quand Madame Taubira parle d’un « changement de civilisation » elle a tout à fait raison. Elle a le mérite d’affirmer clairement ce que d’autres ne disent pas en se contentant de répondre qu’il s’agit juste d’ouvrir un peu la porte pour permettre à d’autres d’entrer, mais que cela ne change rien. Cela change tout ! On construit autre chose. C’est pour cela que j’ai parlé de « supercherie ». On ne peut pas dire « on fait un petit bricolage et on repeint par-dessus, et personne ne verra rien ! » Non ! C’est un changement de civilisation ! Veut-on développer une civilisation dans laquelle on deviendra inapte à imaginer ce que peut signifier l’amour définitif entre un homme et une femme ? Comment pourra-t-on humainement se représenter ce que signifie : ne jamais abandonner les siens ? Comment les enfants pourront-ils se représenter leurs liens avec leur mère et leur père ? Nous présentons une revendication qui n’est pas confessionnelle, comme feint de le croire Madame Taubira quand elle dit « Je ne touche pas à la Bible ». Elle n’a pas besoin de toucher à la Bible, elle touche à l’humanité, cela suffit.
Le problème est de découvrir quel type d’homme on est en train de construire. Notre action n’est pas une agression morale envers les personnes homosexuelles, quoique nous pensions de leur expérience. Nous ne portons pas notre discours sur une évaluation de leur expérience, mais sur la lacune constitutive d’une union sans fécondité possible, à moins de dire que le véritable géniteur est caché. On parle alors de PMA : procréation médicalement assistée, la possibilité pour des femmes en couple lesbien d’avoir des enfants. Pas de réciproque ! Ce « mariage pour tous » ne sera pas le même, selon que vous serez femme ou homme ! Vous n’aurez pas le même modèle ! Les femmes auront un modèle où elles pourront se faire féconder ; quant aux hommes, -sauf à revenir sur l’indisponibilité du corps humain, la non-marchandisation de la femme-, ils resteront sans PMA… On bute sur cette réalité. Et ce géniteur caché où est-il ? Qui est-il ? On ne le sait pas. Et l’enfant qui cherche d’où il vient ? Cela ne veut pas dire qu’il soit malheureux parce qu’il a deux pères ou deux mères au lieu d’avoir un père et une mère ! Cela veut dire qu’il manque quelque chose. Il peut être aimé et entouré. On nous montre tous les jours dans les médias des enfants épanouis à qui il semble n’avoir rien manqué. Sauf qu’ils ne savent pas d’où ils viennent !
Ce qu’on ne nous a pas dit non plus, c’est que pour beaucoup de ces ménages homosexuels qui ont des enfants, ces enfants viennent souvent de l’un des membres du ménage, qui les a eus dans un mariage antécédent, et donc les chiffres généreux qu’on nous donne incluent ces enfants dont le père ou la mère font partie du couple. Ils ne sont pas des enfants venus d’ailleurs. Voilà un ensemble de questions qui n’avaient pas été très anticipées.
J’ajoute que nous ne nous situons pas non plus dans un combat politique contre une majorité démocratiquement élue. Même si on peut toujours poser la question, qui me paraît judicieuse, de la légitimité à changer une civilisation sur 1 ou 2% de majorité ? Car cela veut dire que les civilisations basculent sur bien peu de chose.[…]
Cardinal Vingt-Trois, Rome, 23/11/12, http://www.zenit.org/article-32639?l=french
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