Pour l’ensemble de la famille ignatienne de France, Belgique et Luxembourg, l’événement central de cette année sera le rassemblement au large avec Ignace, à la Toussaint 2021, à Marseille.
Saint Ignace n'est jamais un théoricien. Ce qu'il a à nous dire ne se fonde pas sur une doctrine, mais sur une expérience personnelle qui trouve sa garantie dans les certitudes intérieures dont elle s'accompagne. Nous ne pouvons donc saisir ce qu'a de propre son enseignement sur les vrais rapports entre l'oraison et l'action qu'en parcourant d'abord les étapes de son itinéraire, dans les trois grandes périodes de sa vie spirituelle.
Sur la route qui le conduit de Loyola à Barcelone et à Jérusalem, Ignace s'arrête un jour dans le bourg de Manrèse. Des évènements imprévus l'y retiennent pendant près d'une année. Sans doute ne mène-t-il pas alors une vie d'anachorète : il loge à l'hôpital, au couvent des Dominicains, dans une maison amie ; il recherche la compagnie des pauvres ou des "personnes spirituelles" ; dans les derniers mois, il s'adonne déjà à un véritable apostolat. Mais il reste cependant tout orienté vers une vie de pénitence et d'oraison : il priait, raconte-t-il, sept heures par jour, à genoux ; et, de plus, il consacrait à "penser aux choses de Dieu" tout le temps qui n'était pas occupé aux conversations spirituelles.
Dieu est alors son "maître d'école" et, après quelques mois d'une prière plus rude et désolée, va le combler de faveurs mystiques. L'oraison est le temps privilégié d'une union à Dieu qui se manifeste en fruits de "dévotion" et de "consolation".
Si l'on peut aisément distinguer un progrès au cours des multiples expériences qu'Ignace est amené à faire alors, si l'éclosion de son zèle vient modifier de plus en plus non seulement sa vie de pénitence, pour l'adoucir, mais sa prière, pour la charger de tous les appels du Règne du Christ, il est clair cependant qu'à Manrèse le pèlerin ne connaît d'autre oraison que celle qu'il pratique seul-à-seul avec Dieu, dans la grotte où il aime revenir chaque jour, au bord du Cardoner, dans les offices liturgiques et spécialement à la Messe, au pied des calvaires qui jalonnent les chemins. Oraison aux formes déjà très variées, semée d'ailleurs de tentations et d'illusions, mais qui s'enrichit de ses propres joies et ne laisse en Ignace "d'autre désir que d'avoir Dieu seul pour refuge".
Une nouvelle période commence, lorsqu'Ignace décide, "pour pouvoir aider les âmes", de s'engager dans la longue carrière des études. Dès les premières leçons de grammaire latine, voici que se présentent (comme par habitude!) "une intelligence nouvelle des choses spirituelles et de nouvelles consolations" qui comblent son âme mais sont le plus sûr obstacle à l'effort exigé par son travail. Déjà entraîné à "discerner les esprits", il a tôt fait de reconnaître et de surmonter la tentation. Mais il lui faudra aller beaucoup plus loin encore et accepter que l'étude impose ses exigences, interdise souvent l'oraison, remette à plus tard l'apostolat. Lorsque, sur le bateau qui le ramenait de Terre Sainte, il mûrissait devant Dieu son "intention d'étudier", Ignace imaginait-il qu'il allait entrer dans une période où, pour obtenir la "science acquise" par l'effort humain, il devrait faire le dur sacrifice des dons que Dieu lui communiquait dans l'oraison ? Il ne le semble pas : cette découverte fut, pour lui progressive. C'est l'expérience qui lui apprit ce qu'il enseignera plus tard à ses fils, que l'étude "réclame d'une certaine façon tout l'homme1", corps et âme, et qu'elle absorbe, sous peine d'échec, toutes les puissances de l'esprit. Polanco, l'un de ses biographes les plus fidèles, note ainsi le fait :
C'était son habitude, quand il n'avait pas d'autres occupations entreprises pour le plus grand service de Dieu, comme par exemple d'aller par les routes, etc., de se donner plus longuement à la dévotion et aux mortifications. Et quand il était occupé à enseigner la doctrine chrétienne, et à d'autres œuvres importantes pour l'aide du prochain et qui réclamaient beaucoup de temps, ou bien aussi aux études, il abrégeait beaucoup le temps de l'oraison, se contentant de la Messe, des examens de conscience, et d'une heure environ pour l'oraison. Car il lui semblait qu'il serait plus agréable à Dieu notre Seigneur qu'il donnât plus de temps et d'effort aux activités qu'il prenait seulement pour son service et sa gloire. De la sorte, malgré les nombreuses difficultés qu'il y trouvait, il était dans les études l'un des plus zélés et des plus travailleurs2".
Source : Maurice Giuliani, tiré du n°6 de Christus (avril 1955) ! Trouver Dieu en toutes choses (revue-christus.com)