Doux et humble de cœur ne veut pas dire sans colère et sans violence. En Jésus c’est même lié. Il doux et humble de cœur pour qui ploie sous le fardeau. Mais si cette douceur est empêchée de s’échanger, que reste-t-il de Dieu ? Alors il ne lui reste plus qu’à faire le ménage et balayer énergiquement ce qui entrave l’accès au cœur de Dieu !
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il y a 2 lieux nommés : le temple d’abord, où se trouve la poussière, les marchands de bestiaux, et le sanctuaire, quand Jésus répond : « détruisez ce sanctuaire, en 3 jours je le relèverai ». En fait, le temple mène au sanctuaire. Il y avait plusieurs espaces. Le saint des saints est là où Dieu se tient, honoré par les prêtres et préparé par les scribes et l’écoute de la Parole. Le 2ème cercle est là où se rassemble le peuple venu écouter et honorer Dieu qui s’offre. Et 3ème cercle, il pouvait y avoir des marchands, liés à la pratique religieuse. La Pâque approche, donc il faut songer aux offrandes de colombes, moutons ou bœufs. Ça se passait toujours ainsi. Alors la réaction de Jésus est incompréhensible pour tous, même les bons prêtres ou scribes. Ils auraient vendu des jeux vidéo ou des smartphones, là tous auraient réagi !
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Alors qu’est-ce qui lui a pris, à ce Jésus, ce drôle de Messie ? C’est ce qui fera de lui un Messie crucifié. Il vient de vivre des noces à Cana qui l’ont éveillé à « son Heure », qui sera la destruction du sanctuaire de son corps, et en fait l’offrande libre et cachée de Dieu que le peuple aveugle ne voit pas. Son évangile, c’est d’ouvrir, de rouvrir l’accès du temple au véritable sanctuaire : le cœur de Dieu, le corps du Christ. La soif de Dieu est de faire des disciples que Jésus aime. Le disciple que Jésus aimait est en effet celui qui se penche sur son cœur à la Cène, dernier repas. Il est celui qui voit et qui croit, au tombeau vide. Celui-là est entré au sanctuaire.
Nos marchands de bestiaux, en fait, c’est pas seulement les autres. Ils sont en nous, ils sont en moi. C’est, en moi, tout ce qui encombre l’accès, pour moi et pour les autres, au cœur de Dieu qui anime le Christ. Le sanctuaire advient là où je reconnais et considère un tout-petit, même pécheur, même païen, même malade, le voisin, la voisine qui m’agace ou me pèse, comme l’enfant bien-aimé du Père.
En général cet évangile choque à cause soit de la violence du Christ, soit du sans-gêne des marchands de bestiaux sur un lieu sacré. A l’époque ce sans-gêne n’en est pas un : c’était pratique courante pour tous, même les grands prêtres, surtout à Pâque où on va sacrifier colombes, moutons ou bœufs pour Dieu. Le Temple avait plusieurs niveaux : l’esplanade, avec ces marchands, puis plus dans le Temple, le peuple des fidèles, et dans le chœur, les scribes et les prêtres qui officient. Du coup la réaction « de quelle autorité fais-tu cela ? » est naturelle. Personne n’aurait eu l’idée de réagir comme Jésus l’a fait. Historiquement, ce serait le geste de trop resté en travers de la gorge des religieux de l’époque et qui aurait valu à Jésus sa mort …
Jean met d’ailleurs l’événement au début de son évangile. Il est donc gonflé, ce Jésus, même si nous, on voit ça comme normal ! Qu’est-ce qu’il lui a pris ? « Détruisez ce sanctuaire, en 3 jours je le relèverai ». C’est sa seule réponse. Quelqu’un m’aurait répondu ainsi, je n’aurais rien compris et serais resté dans une colère intérieure. Non mais qui c’est, ce prétentieux qui se met au-dessus de tous ? D’ailleurs, si un maire fait un truc qui ne me plaît pas, si un prêtre a des réactions bizarres, si Unetelle ou Untel pose des actes qui ne me reviennent pas, c’est rare que je me réjouisse et dise « merci, Seigneur ».
Mais il parlait du sanctuaire de son corps. Les disciples le comprennent bien après. Jésus ne cherche pas à être compris. Certains comprendront quand ils verront le Ressuscité. L’Esprit leur sera donné et éveillera leur mémoire : « tu te rappelles, il y a 3 ans à Jérusalem, il avait chassé les bêtes du temple, et avait répondu aux prêtres, on n’avait rien compris, sur le sanctuaire ». Le Carême nous invite à durer, à la suite de ce drôle de Messie, un Messie crucifié, folie pour les païens, scandale pour les Juifs… La Loi disait pourtant : « vous n’aurez pas d’autres dieux ». C’est ce qui poussait Jésus à de tels gestes alors inimaginables. Le sanctuaire de son Corps, c’est aussi celui des tout-petits. Ces commerces qui font mal au Christ, c’est son Père ignoré, bafoué, et c’est cette femme qu’il voyait plus que comme « la pécheresse », et cet homme, plus qu’« un riche collabo », ce Samaritain, plus qu’un étranger mécréant. La colère du Christ m’interroge : comment je regarde Dieu, et l’autre, le tout-petit ? Où est le sanctuaire du Christ ?
Olivier de Framond, compagnon jésuite