Nous avons trois textes d’une certaine densité chacun. Je vais me contenter d’explorer une des lignes d’interprétations qui s’offrent à nous.
Nous avons la première lecture et l’évangile qui sont posés tête-bêche et la lettre aux Romains qui fait le lien entre les deux.
Tout d’abord, le récit du livre de la Genèse s’oppose aux nombreux mythes du Proche Orient sur la création du cosmos et de l’humanité. Notamment, on reconnaît facilement en arrière-fond les traits du poème babylonien Enuma Elish qui était proclamé lors de la fête du Nouvel An.
Dans l’Enuma Elish, la raison de la création de l’homme n’est pas très noble, car il est créé pour le service de tables des dieux.
Par contraste, l’auteur biblique souligne la délicatesse du Dieu unique dans la création de l’homme et son installation dans une oasis, un paradis en miniature, un lieu organisé pour que la vie se déploie. En effet, ce lieu comporte le possible et ses bornes. En conséquence, le discernement s’impose ici.
L’auteur biblique reste un homme de son temps ; il n’y a pas d’anachronisme. Il s’agit d’une parole inspirée d’un homme de son temps. Néanmoins, la parole de Dieu est souvent cachée dans des paroles d’homme. ‘Entende qui a des oreilles’ nous dit-on !
Dans l’évangile, nous avons le Christ, à l’issue de son baptême et la révélation de son identité ; il se retrouve au désert.
Il refait l’itinéraire de son peuple dans le désert ; il rachète l’itinéraire de son peuple avec ses nombreuses chutes.
Alors, les tentations peuvent se présenter comme un récit programmatique de la mission du Christ qu’il vient d’initier.
Celui qui a de l’expérience dans la vie peut avoir remarqué qu’il y a parfois dans l’homme quelque chose contre l’homme ou qu’il y a parfois dans la vie quelque chose contre la vie.
La littérature biblique le personnalise, l’isole pour mieux le combattre. Il s’agit du tentateur ayant la figure du serpent, animal mythique et ambivalent s’il en est. Dans le NT, il est présenté comme le tentateur sans visage ou le tentateur aux mille visages dénommé le diable ou le Satan.
Son action ici consiste à s’attaquer à la foi ou à la confiance en la parole que Dieu a donnée à l’homme en arguant que le rejet de cette parole conférera la liberté et le pouvoir sur la vie.
Adam & Ève cèdent à cette flatterie et loin d’éprouver la liberté et le pouvoir, ils découvrent qu’ils sont nus, vulnérables, sans défense et sans artifice. En réalité, c’est la foi en la parole donnée qui faisait leur force et leur humanité. Ils sont maintenant devenus comme les autres bêtes, nus.
On peut toujours habiller les chiens, ils resteront des chiens.
En parallèle, dans l’évangile, nous avons trois tentations, trois manques, trois épreuves qui génèrent le chaos en nous et autour de nous, à savoir, la jouissance des biens, le pouvoir et la reconnaissance.
Remarquez dès l’abord que ces trois réalités sont le travestissement de trois attitudes structurantes et positives de l’homme :
Les biens c.-à-d. s’enrichir en vue de Dieu ou en vue des autres
Le pouvoir c.-à-d. le pouvoir de servir
La reconnaissance c.-à-d. l’amour dont on est aimé.
Remarquons à ce propos que les dictateurs qui se sont approprié le pouvoir n’ont généralement jamais la reconnaissance même de ceux qui les adulent ; on ne les aime pas ; on les craint.
Donc, chaque fois, la réalité structurante, -les biens, servir, ou l’amour- reste à mi-chemin ou est captée et détournée de son horizon.
Dans l’évangile, comme dans le récit de la genèse, le tentateur sans visage utilise les paroles de Dieu dans le sens du travestissement. Jésus lui répond en utilisant la parole de Dieu dans le sens de la marche. Ce n’est pas parole contre parole, mais la vie contre son travestissement.
L’itinéraire du Christ dans l’affrontement des tentations doit nous tracer un chemin à suivre.
Chacun d’entre nous a eu maille à partir avec l’une ou l’autre de ces tentations ou de ces épreuves.
Nous savons, d’après l’expérience du Christ, que si nous gardons la confiance en la parole donnée par Dieu, nous sommes alertés, nous sommes éveillés pour éviter les sollicitudes du tentateur sans visage qui peut venir de n’importe où, de notre for intérieur, d’un groupe de pression, d’un collègue, d’un chargé de mission, etc.
Cette voix intérieure ou extérieure est à entendre et à affronter comme le fait le Christ et à écarter de son chemin par un ‘ vade retro satana’ (Arrière, Satan). Chacun a sa formule ou sa méthode de rejet.