Le mot « sacrement est très employé dans la théorie chrétienne. Une réflexion à partir du symbole peut nous aider à méditer sur cette réalité en laquelle se fonde toute la nouveauté de la foi chrétienne.
Il fallait que notre Sauveur soit vraiment un homme. Il fallait que ce Sauveur puisse entrer dans le fonctionnement symbolique de l’humanité. Il fallait que notre Sauveur soit tributaire de l’humanité primordiale au nom de laquelle nous percevons toutes nos brisures, nos divisions, et qui nous donne la force de lutter pour les surmonter.
Il fallait aussi que ce Sauveur se présente comme le témoin vivant de l’Unité Créatrice, comme la Parole du commencement en qui tout lui fait, afin que le néant soit placé définitivement avant tous nos commencements et ne puisse plus jamais, malgré les apparences, expliquer notre fin.
Comme le corps de tout homme, Jésus est symbole, parmi la multitude des symboles que nous sommes ; symboles d’une unité brisée, toujours à reconstruire.
Mais le corps de Jésus apparaît au croyant comme le symbole unique car il est seul capable de révéler et de réaliser notre appartenance commune à un même Père de qui nous tenons tous « la vie, le mouvement et l’être » (Act 17, 28), et qui est hors des fluctuations de notre temps, au-delà des atteintes possibles de notre mort, Jésus-Christ est, pour le chrétien, celui avec qui, par qui et en qui tout homme peut dire sa suprême Parole. Au moment où nos mains gelées lâcheront leur prise au rebord de la falaise de glace, à l’heure où tous nous verront sombrer dans l’Océan de la mort, avec Jésus Christ, par Lui et en Lui nous pourrons dire : « C’est entre tes mains, Père, que je remets ma vie, mon esprit ». Suprême Parole, oui, Parole de l’Espérance. Car en elle peut fonder la solidarité de tous les fragments brisés, grâce à ce fragment unique qui refuse la rupture avec ceux-là même qui le brisent : Père, pardonne-leur ; ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Voilà pourquoi la foi chrétienne ne s’est pas contentée du mot « symbole » pour désigner la place et le rôle de Jésus Christ dans l’humanité, Jésus Christ, certes, est symbole, comme nous, puisqu’il est l’un d’entre nous. Mais, en outre, si l’on peut dire, et que l’on ne peut dire d’aucun d’entre nous, il EST l’unique force intégratrice capable de fonder notre victoire sur toute brisure, y compris la fracture finale jusqu’ici nous plongeait dans le dérisoire et le désespoir. Le corps de Jésus Christ est le corps du Créateur. Le corps de Jésus Christ, et voici le mot nouveau utilisé par la foi chrétienne, le corps de Jésus Christ est le sacrement de Dieu.
Acceptons-nous la voie qui s’ouvre devant nous ? Accepterons-nous la proposition que vient nous faire Jésus Christ ?
Nous reconnaissons déjà certains ferments d’unité entre les hommes : le lien du sang, la langue commune, la faculté de parler et d’agir, sont autant de forces qui nous ouvrent au dialogue et la coopération, qui nous permettent de surmonter beaucoup de nos divisions.
Accepterons-nous le ferment nouveau que nous offre le Christ ? « Vous êtes tous les fils de mon Père ». Accepter cela, c’est accepter les limites de notre esprit. C’est accueillir l’Esprit même de Dieu venu se joindre à notre esprit. Or c’est bien l’Esprit même de Dieu qui nous est donné dans le Baptême. Et cet Esprit fait de nos corps les membres du corps du Christ. Voici que notre capacité symbolique est transformée par la puissance sacramentelle du corps de Christ. A notre tour, et dans le Christ, nous devenons les sacrements de Dieu.
Qu’est-ce à dire, sinon que cela devrait se voir. Demeurons-nous calfeutrés dans nos cohésions partielles ? Défendrons-nous longtemps nos appartenances particulières, qu’elles soient familiales, nationales, linguistiques, raciales, sociales ou autres ? Ou bien serons-nous enfin témoins courageux et inventifs de cette communication qui nous est enfin permise grâce à la connaissance de notre source commune et à la fraternité que notre Père a établie entre nous et son Fils Unique ? Oui, serons-nous les témoins courageux et inventifs de la fraternité universelle qui s’achève où elle commence, dans la miséricorde reçue et transmise indéfiniment ?
Père Louis Sintas, dans « Tous ces mortels qui veulent vivre », ed. Le centurion, 1980, p. 35-37. image http://catholiques-chambery.paroisse.net/rubriques/haut/album_photo/messe-des-rameaux-barberaz-28-03-15/resolveuid/972d0695c83b27730614c675b98676b6