Jn 19, 31-37
Jésus venait de mourir. Comme c’était le jour de la Préparation (c’est-à-dire le vendredi), il ne fallait pas laisser les corps en croix durant le sabbat, d’autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque. Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu’on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes.
Les soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis de l’autre homme crucifié avec Jésus.
Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau.
Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez. Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Écriture : Aucun de ses os ne sera brisé. Un autre passage de l’Écriture dit encore : Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé.
****************
Ce passage de l’écriture, retenu par l’Eglise, peut nous introduire dans le sens profond du Sacré-Cœur dans la relation qui peut s’ébaucher entre le croyant et son Seigneur. Cela n’est pas sans évoquer le colloque du Christ en Croix tel que le propose Ignace dans ses Exercices Spirituels au cours de la première semaine, un moment souvent fondateur pour le cheminement du retraitant.
« Jésus venait de mourir » et, là, il n’y a pas que la mort comme négation, mais aussi tout ce qui est fait après la mort de Jésus, pour anéantir toute trace de son passage sur terre. Une célébration d’une fête ancienne compte plus que cet homme qui est comme balayé, réduit au néant, sans sépulture prévue. Le don qu’il a fait de lui-même va jusqu’à ne plus faire partie en aucune manière de la communauté humaine, le souvenir de son passage sur terre, lui-même, semble devoir lui aussi être banni… Son amour et le don de lui-même qu’il a posé sont donc allés jusque-là, jusqu’à l’anéantissement total. Il a été radical.
« Il en sortit du sang et de l’eau ». Mais soudain dans un geste usuel de contrôle de la part du soldat, le coup de lance, quelque chose se répand, une forme de vie au-delà de tout ce qui a été perdu.
Ce modeste flux va devenir un fleuve puissant et revigorant pour beaucoup, pour tous. En prenant ce chemin, la vie signifie qu’elle traverse la mort. Elle en reçoit, pour nous, un nouveau visage, elle ouvre à celui qui regarde et se laisse regarder une autre issue. Elle peut se transmettre au-delà de tout, se donner et se recevoir, se rendre, se demander. Elle est la Vie. Et je puis la recevoir.
« Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé ». Il y a là comme un arrêt sur image pour tout homme quelle que soit sa place dans l’histoire de l’humanité. Lui Jésus mort en ayant tout donné, donne, au-delà de sa perte, un nouveau flux de vie à celui qui se laisse toucher par sa mort à lui, Jésus, L’homme reconnait sa propre suffisance, son enfermement en lui-même, en se laissant toucher par le repentir. La contemplation de la mort de Jésus jusqu’à l’extrême produit en lui un repentir, et même une offrande de lui-même. Un avenir s’ouvre alors au plus profond de la perte, de la faute. Un pardon survient qui remet dans la vie, qui fait renaître en soi la reconnaissance, le goût de la vie.
Nous ne sommes pas loin de ce colloque auquel Ignace encourage le retraitant, en considérant le Christ lui qui a tout quitté pour venir à nous, pour mourir sur une croix en vivant un abandon par tous et en se considérant nous-même. A travers cela renaît dans le cœur du retraitant une énergie de vie, un désir que la vie, la vie de tous, la vie pour tous l’emporte. Il laissera en lui résonner ces questions :« Ce que j'ai fait pour Jésus-Christ, ce que je fais pour Jésus-Christ, ce que je dois faire pour Jésus-Christ. »
Temps béni des commencements, des recommencements où il m’est donné de vouloir à sang nouveau la vie véritable non plus cette vie sur soi-même mais une vie qui coule, qui va, qui est pour tous, qui ne cesse de porter joie, courage et allégresse…
Jean-Luc Fabre, compagnon jésuite