Mardi (34e semaine du temps ordinaire)
« Celui qui veut édifier l’édifice de la sainteté doit creuser profond et bâtir bien haut : descendre profond dans la nuit obscure de son propre néant afin d’être élevé bien haut dans la lumière du soleil de l’amour divin et de la miséricorde. » Edith Stein
« Tout sera détruit » Le réel quel est-il ? Souvent, nous le concevons à partir de ce que nous avons représenté, construit… Peu à peu, nous ne faisons plus la distinction entre ce qui est, ce qui se donne, et la représentation que nous en avons. Manière de faire, qui est renforcée lorsque nous héritons des représentations, comme ce Temple, expression de la foi historique du Peuple… Jésus invite ses disciples, nous aussi, à une attitude profondément re-vivifiante mais, ne nous le cachons pas, extrêmement couteuse pour nous, déstabilisante… Il s’agit de passer par une épreuve où ce qui a été édifié, s’effondre… Une expérience à vrai dire bien commune, que vit notamment chaque personne qui vieillit : le monde qu’il a connu s’estompe, il ne reconnaît plus rien, tout a été détruit, déconstruit, repris autrement… Perte et nouveauté vont de pair. Cette annonce de la part de Jésus est un appel, les disciples tentent de se l’approprier. Intéressons-nous davantage aux réponses de Jésus. Elles sont bien plus porteuses de vie.
« Ne pas vous laisser égarer » Jésus met en garde les disciples. Il leur recommande de veiller à ce qu’ils percevront au moment où l’effondrement s’opérera. Il s’agira d’être à l’écoute, certes. Mais pas n’importe comment. Ainsi pas à l’écoute de ce qui surgit à ce moment-là, mais à l’écoute de ce qui aura été dit jadis. Une parole nous a été donnée, cette parole est sure, au-delà des réalisations qui se sont opérées à partir d’elle. Il s’agit de revenir à elle, de l’entendre dans sa force toujours vivifiante de promesse. Dans ce qui s’effondre, je puis entendre la parole qui m’a mis en mouvement, d’une manière renouvelée, dans une grande fraicheur, une grande liberté… Je me mets dans la position de recommencer à partir d’elle et non pas de maintenir à tout prix ce qui s’effondre, en me laissant aller à des compromissions qui m’amèneraient à me renier, renier ma foi. Cette attitude d’écoute de la promesse nous maintient dans le flux de ce qui ne cesse de se donner au-delà de tout. Nous prenons ainsi de la « hauteur ». Nous ne nous enfermons pas dans la situation présente… C’est peut-être bien ce que cherchent les personnes âgées en revenant à leur enfance : réentendre la parole de vie qui les animait à l’époque, pour lui répondre « présent » dans la situation actuelle…
« Ne vous effrayez pas » Jésus nous invite aussi à considérer, à examiner, le processus de déconstruction à l’œuvre, la maille qui file… Ne pas se laisser prendre par le tournis de la destruction, mais la contempler et voir l’avers de cette réalité. Dans la destruction, se signifie la pertinence de ce qui se construisait, le sens qu’il y avait, le sens qui subsiste malgré tout. Peu à peu, ce qui se passe se resserre sur nous et nous appelle à témoigner de la bonté de la vie dans la destruction même. Notre témoignage devient de plus en plus pur à la mesure de la destruction qui gagne. Cela prend la couleur de la Passion de Notre Seigneur. Devant ses juges, il dira la force du réel « Tu n'aurais aucun pouvoir sur moi s'il ne t'avait pas été donné d'en haut » Réalisons que cette situation nous appelle non pas à nous perdre, non pas à nous effrayer mais à laisser surgir le meilleur de nous-mêmes librement, ce qui nous constitue en vérité : notre capacité à attester, à témoigner au-delà de tout en la Bonté de Dieu qui aime tous les hommes. Ainsi, il nous est donné de pouvoir mettre nos pas dans les pas du Seigneur Jésus, donner à ce corps véritable d’être, le corps de la louange du Père !
Jean-Luc Fabre, compagnon jésuite