La scène
se passe au Cambodge. « J’en arrivai à cette femme toute jeune, éventrée par un éclat d’obus ; le diagnostic ne traîna pas : elle était perdue. » Xavier Emmanuelli voit alors son collègue Daniel
Pavard faire quelque chose à quoi il ne s’attendait pas. Xavier Emmanuelli raconte ainsi : « Il vient se placer derrière la jeune Cambodgienne, referme sur elle ses bras, loge sa tête couverte de
sueurs froides sur sa poitrine à lui ; en caressant ses cheveux, doucement il lui parle, alors qu’elle ne peut pas comprendre un mot de ce qu’il lui dit ; il lui parle doucement comme il la
caresse, avec une délicatesse infinie […]. Image immobilisée et qui suspend le temps, lui qui enlace la douleur et la peur de cette jeune femme qu’il ne connaît pas, elle qui va mourir dans les
bras d’un homme inconnu […]. Il est tout entier dans ce geste pour elle qu’il ne s’est pas commandé, qu’il n’a pas décidé ni réfléchi […]. Il a aboli toute la solitude de cette mourante et du
même coup, je le sais à présent, la solitude humaine universelle dans son ensemble, pour un instant. Je sais aujourd’hui, mais il m’a fallu longtemps, que je venais de voir en acte un état de
l’être humain qui s’est ouvert devant moi comme un mystère. Je venais de voir un geste de compassion. Mais je ne savais jusqu’alors ni la reconnaître ni lui donner son nom. ». Deux mois plus
tard, Daniel Pavard mourait d’un accident de moto en allant au camp.
Xavier Emmanuelli, Prélude à la symphonie du nouveau monde, Paris, Éd. Odile Jacob, 1997, pp. 102 et 104 s